La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Histoire vécue d'Artaud-Mômo"… au-delà des mots

"Histoire vécue d'Artaud-Mômo", Théâtre des Mathurins, Paris

Dans une mise en scène de Gérard Gélas, Damien Rémy nous fait revivre la Conférence du Vieux Colombier où Artaud, marqué par son internement psychiatrique, est en proie à des difficultés d'élocution, perdu dans ses mots et ses propos.



© Lot.
© Lot.
Artaud (Damien Rémy) est sur scène devant son bureau sur lequel deux cahiers sont disposés. Nous voilà le 13 janvier 1947 au théâtre du Vieux Colombier dans une salle comble où l'intelligentsia française était réunie avec, entre autres, Adamov, Breton, Dullin, Gide et Picasso. Artaud doit tenir une conférence. Mais les mots ne viennent pas, il a du mal à s'exprimer bien qu'ils se raccrochent à ses cahiers où il avait consciencieusement préparé sa conférence. Ses propos sont bousculés. Artaud semble détruit par l'internement psychiatrique de 9 ans dont il a été l'objet et où il a été victime, entre autres, d'électrochocs. C'est ce moment que Damien Rémy joue, incarne, vit.

Artaud raconte son internement, ce qu'il pense du théâtre, sa perception du monde et de son rapport à l'autre. Il y a le conscient et cette autre chose qui l'interpelle, et dont il ne dit pas que ce pourrait être l'inconscient. Le poète raconte un bout de sa vie et de sa pensée sous forme de silences, de cassures avec une voix étouffée, hésitante et étrangement aiguë. Le jeu est de grande qualité.

© Lot.
© Lot.
e corps parle par le regard, la voix, les mains, les bras avec une gestuelle brisée, presque machinale, arrêtée parfois, nerveuse souvent. Le regard est très perçant, égaré, perdu. Tout dans le corps, la voix et le regard du comédien épousent des propos décousus, un tantinet insignifiant, brodée de brides de signification. Dans des enregistrements sonores qui ponctuent la pièce, la voix d'Artaud devient plus grave, plus calme, plus posée comme si deux moments cohabitaient dans des espaces-temps autres. Damien Rémy nous fait revivre ce périple langagier et corporel en faisant entrevoir la souffrance psychique d'Artaud. Le jeu est habité. Tout chez le comédien montre les cassures physiques et psychiques, par le biais du langage, d'Artaud.

Le silence habite l'espace de jeu dans lequel la voix d'Artaud étranglée, presque étouffée avec quelques envolées très aiguës, semble chercher, au-delà d'un mur symbolique d'incompréhension, une direction, un écho, un public.

"Histoire vécue d'Artaud-Mômo"

D'après la Conférence du Vieux Colombier.
Mise en scène : Gérard Gélas.
Assistant à la mise en scène : Jean-Louis Cannaud.
Avec Damien Rémy.
Une création du Chêne Noir - Avignon.
Durée : 1 h 30.

Du 29 janvier au 12 avril 2015.
Du mardi au samedi à 19 h, dimanche à 15 h.
Théâtre des Mathurins, Paris 8e, 01 42 65 90 00.
>> theatredesmathurins.com

Safidin Alouache
Jeudi 19 Février 2015

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024