La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Cent millions qui tombent"… Nouvelle création en cours des Bâtards Dorés

"Cent millions qui tombent" de Georges Feydeau, "relu et interprété" par Christophe Montenez et Les Bâtards Dorés. Entretien "entre deux portes" avec le (jeune) sociétaire de la Comédie-Française et ses complices Lisa, Ferdinand, Jules, Manuel et Romain.



© Oscar Chevillard.
© Oscar Chevillard.
De jeunes acteurs soudés dans le collectif les Bâtards Dorés s'étant illustré dans "Méduse" - prix du jury et du public du Festival Impatience et programmé par Olivier Py dans le IN 2018 d'Avignon - investissent leur terre d'origine, l'Aquitaine, pour leur nouvelle création 2020. Et si les portes chères à Feydeau continuent à claquer, c'est pour "ouvrir" à d'autres espaces.

Yves Kafka - Avec Les Bâtards Dorés, créé en 2013 lors de votre sortie de l'éstba*, vous renouez avec l'auteur de votre spectacle - Machine Feydeau - de fin d'école… Pourquoi Feydeau, toujours et encore ?

Christophe Montenez - Un film russe, "Il est difficile d'être un dieu" d'Alexei Guerman, a retenu notre curiosité. Il met en jeu la dystopie d'humains qui n'auraient pas eu connaissance de la Renaissance, des Lumières, et resteraient enfermés dans un Moyen-Âge en boucle.

Quels personnages de la littérature pouvaient leur faire écho ? Les créatures très codifiées de Feydeau, mues par une mécanique hystérique tournant à vide autour des problématiques de l'argent et du sexe, se sont imposées. Le pitch serait de proposer la question : si l'on offrait à ces personnages une porte de sortie, qu'en feraient-ils ? Si l'on introduisait un grain de sable dans l'horlogerie huilée de la mécanique feydalienne, que deviendraient ces pantins ?

© Oscar Chevillard.
© Oscar Chevillard.
… une porte de sortie invisible jusque-là à leurs yeux ; leur ouvrir une porte, autre que celles qui claquent et reclaquent ?

C. M. - Voilà… D'ailleurs une idée de scénographie avait été de créer une cinquième porte. Lorsque quelqu'un l'ouvrirait, il ne serait plus dans "la pièce"… Effrayé, allait-il vouloir à tout prix rejoindre la fiction, ou oserait-il faire imploser ses déterminismes ?

Feydeau, connu comme auteur de vaudevilles légers, se prêterait-il à toutes les déconstructions ? Comment traduire ce processus "politiquement incorrect" ?

C. M. - D'emblée, un salon bourgeois - papiers peints et accessoires - immerge le spectateur dans l'univers très codifié de Feydeau. Puis, sous l'effet de l'hystérie des personnages, il se déliterait. Des pans entiers s'effondreraient repoussant le décor jusqu'à le faire imploser. Des végétaux et autres présences incongrues - fruits de l'hystérisation générée par l'argent dont un valet va hériter - envahiraient le plateau.

Ce milieu organique exogène prendrait ainsi possession de l'espace. Un peu comme dans un film d'horreur où la vérité des personnages viendrait prendre le dessus, mais là pour les rappeler à eux-mêmes en les questionnant sur leur vraie nature.

© Oscar Chevillard.
© Oscar Chevillard.
… comme le retour du refoulé ?

C. M. - Oui… Feydeau est assez fou dans ses propositions pour constituer le fil rouge de notre spectacle au-delà des allers-retours aménagés par nos postures personnelles. En outre, la pièce étant restée inachevée, il faudra lui trouver un dénouement… On servira donc les problématiques amorcées par Feydeau, les prolongeant de nos "couleurs" sur un plateau se désagrégeant.

Les "personnages-mondes" seront porteurs d'interrogations qui vont nous percuter, et le spectateur avec nous. L'un voudra rester dans la fiction théâtrale afin d'échapper à une remise en cause des "valeurs" auxquelles il s'accroche, il soutiendra que c'est par l'argent que l'on s'accomplit en refusant de voir que le monde s'écroule autour de lui et focalisera son existence autour de son petit chien, de sa petite femme. Un autre "risquera" l'aventure du réel pour explorer d'autres horizons interdits jusque-là.

Et comme les personnages de Feydeau portent en eux-mêmes leurs ténèbres, on s'est contenté d'investir cette zone pour dire un peu de nous dans leur "interprétation". Cette pièce est drôle et terriblement cynique, voire affreuse dans les rapports humains qu'elle expose de manière crue. Au public d'en faire ensuite "comme il lui plaira"…

© Oscar Chevillard.
© Oscar Chevillard.
S'il est dans vos productions, un acteur important - bien que ne figurant pas dans la distribution - c'est en effet le public… Quelle place lui avez-vous réservée ?

C. M. - À un moment, quelqu'un s'écrie en écho aux cent millions : "Cent patates !!!"… Et cent patates tombent alors des cintres que l'on fixe comme un pendule d'hypnose. La lumière et le son accompagnent ce temps onirique où le spectateur est livré délibérément, librement, à ses propres questionnements (Que faire de ma vie ? Ai-je la possibilité de changer ?) ou simplement "choisit" de se laisser divertir au sens pascalien.

Et vous cinq, réunis "studieusement" dans cette salle du TnBA où vous êtes en résidence, qu'auriez-vous à dire de ce nouveau projet ?

Lisa Hours, Jules Sagot, Manuel Severi, Romain Grard et Ferdinand Niquet-Rioux - Sans reprendre ce que Christophe a dévoilé, on voudrait revenir sur notre manière de travailler. Chacun dans la troupe est acteur et metteur en scène, ce qui créée les conditions d'un échange permanent de points de vue.

© Oscar Chevillard.
© Oscar Chevillard.
Occuper son petit segment de vie sans se soucier des autres, se divertir "à tout prix", ou s'ouvrir à d'autres dimensions plus spirituelles, ces questions sont posées dans Feydeau et on se les réapproprie pour les "travailler", pour les faire entendre de là où l'on en est de nos existences. Les personnages s'agitent et nous agitent.

Aucun n'ira jouer ce qu'il ne sent pas. Ainsi le collectif, riche de toutes les propositions plurielles, de toutes les intériorités en mouvement, puise sa synergie singulière dans le plaisir intense de jouer ensemble.

* École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine.

"Cent millions qui tombent"

© Oscar Chevillard.
© Oscar Chevillard.
D'après Georges Feydeau,
Texte, conception et mise en scène : Collectif Les Bâtards Dorés.
Avec : Romain Grard, Lisa Hours, Jules Sagot, Manuel Severi, Ferdinand Niquet-Rioux, Christophe Montenez (de la Comédie-Française).
Son : John Kaced.
Lumière et scénographie : Lucien Valle.

Futures représentations
Création au Théâtre de la Cité de Toulouse, le vendredi 24 janvier 2020.
TnBA (Théâtre national Bordeaux Aquitaine), du mardi 18 au samedi 22 février 2020.

>> Présentation de l'école

Yves Kafka
Jeudi 12 Septembre 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023