La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Exodos" Charivari chez les dieux et héros grecs, une joyeuse sortie d'école

Quand la promotion 5 de l'éstba élit la mythologie grecque comme lieu des héroïques exploits clôturant ses trois années de formation, un cyclone perturbe en tous sens le paysage théâtral. Il a pour nom celui des quatorze élèves comédiens(nes) jouant des décomplexions à gogo pour faire voler en éclats les récits hérités. Entre farce grandguignolesque et jeux potaches, ils revisitent à leur sauce les mythes… afin de les rendre désopilants et si proches des humains avec lesquels ils entretiennent de "sérieuses" correspondances.



© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Dieux, héros et hommes embarqués dans la même galère existentielle, telle sera en effet la chute. Et quand on sait que ce spectacle de fin de formation est placé sous la houlette de tg STAN du Belge Frank Vercruyssen, on comprend mieux alors "l'angle d'attaque" ayant présidé à cette forme échappant à toute écriture… si ce n'est celle inspirée collectivement par les dieux fantasques. Les artistes constituant le combustible nucléaire de l'objet théâtral à construire en commun, chacun a été encouragé à laisser libre cours à ses délires (ré)créatifs pour les traduire en actes avec l'énergie débridée propre à la jeunesse.

L'assemblée, accueillie par un Sisyphe se tuant pour l'éternité à la tâche - il faut avouer que cette boule qu'il doit remonter jusqu'au sommet des gradins est tout sauf une sinécure… -, est ensuite invitée à se scinder pour suivre les personnages échappés des récits antiques où ils s'ensommeillaient. Face à ces petits groupes pressés autour des héros de l'Iliade, sont reconstitués des tableaux vivants à haute valeur picaresque. Ainsi le poème homérique reprendra-t-il des couleurs sous les traits d'une Ariane, princesse mortelle féministe, "re-contant" l'histoire de Thésée à rebours. Car c'est elle qui a largué sur les rivages de l'île de Naxos le vainqueur du Minotaure, et pas l'inverse !!! Exit la version racinienne : "Ariane, ma sœur, de quel amour blessée/Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée…".

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Priam et Hécube - spectateurs couronnés pour l'occasion roi et reine de Troie - encourageront Hector, le fruit adoré de leurs entrailles, à combattre Achille, l'Achéen courroucé. Il faut dire que, coup sur coup, on lui a ravi Briséis, sa belle esclave troyenne, et Patrocle, son petit ami trucidé par Hector, avec qui il échangeait hier encore de tendres bisous. Le combat mythique entre ces deux héros légendaires prend la forme d'une pantalonnade où acrobaties aériennes, duel "à couteaux tirés", jets de fausse hémoglobine se finiront comme l'Histoire l'a transmis… Sauf qu'Hector mort est très heureux de s'être bien battu et il le dit affichant un sourire banane. Quant à Paris, le beau gosse minaudant qui a enlevé la belle Hélène (chantant du Disney, les yeux en cœur), de sa main guidée expressément par Apollon, il décochera une flèche dans le talon éponyme d'Achille, ce dernier le lui désignant obligeamment… avant de rendre grâce.

Ceci n'étant que l'un des tableaux vivants "tournés" à l'extérieur des remparts du monument troyen. Le second acte de cette soirée "homérique" se déroulera dans la Grande salle Vitez du TnBA où les quatorze jeunes dieux et déesses seront réunis pour faire ripaille. Le moins que l'on puisse dire, c'est que - nom de Zeus - on ne s'ennuie "guerre" dans l'Olympe… Ainsi Arès, Dieu de la guerre (incarné par une jeune actrice en treillis militaire) harangue Athéna, déesse de la prudence, de la stratégie militaire et de la sagesse (sous les traits d'un jeune homme dont les cheveux sont tenus par un serre-tête et les oreilles ornées de boucles). Exaltée, elle vante la beauté de la guerre pour la guerre et ses traits lisses et lumineux vibrent, telle une amante éprise.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
L'on débat dur autour de la table du banquet olympien où tout ce petit monde divin a célébré comme il se doit Dionysos, dieu de la vigne, des réjouissances et du théâtre (incarné par un jeune homme couvert d'une feuille de vigne bienvenue et brandissant un cubito de vin)… Héra ne s'en laisse nullement conter par son époux Zeus, fût-il impressionnant de virilité affichée (joué par une actrice très tonique). Poséidon, dieu de la mer (maillot de bain et filet de pêche jeté sur les épaules) adore se baigner dans une piscine gonflable tandis qu'Hadès, tout de gris vêtu, est raccord avec sa réputation sinistre liée à son statut de Dieu du Royaume des Morts.

Quant à Aphrodite, déesse de l'amour, du désir et de la beauté (incarnée superbement par un grand barbu), elle parade et minaude dans sa belle robe blanche tandis qu'Hermès, le messager des Dieux, sous des traits féminins parcourt la scène coiffé de son casque ailé et juché sur des chaussures à roulettes rebelles… Tout ce monde devisant de vive voix quand l'ingestion du nectar ne les plonge pas dans un assoupissement profond. Querelles de fin de banquet arrosé, noms d'oiseau jetés à la figure, dragues plus ou moins lourdaudes…

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Mais qu'ont-ils ces Dieux et Déesses (jouisseurs, envieux, jaloux, colériques… attendrissants) de si différents des Humains, nous leurs frères et sœurs en humanité chaotique ? Jusqu'aux invectives échangées à tout-va - d'une grossièreté à faire pâlir un régiment de bonnes sœurs - qui en font nos doubles, leurs défauts et leurs aspirations se confondant avec les nôtres.

Alors si cette performance de fin d'année(s) n'a pas vocation à s'inscrire dans les annales de l'Histoire du Théâtre - mais là n'a jamais été son but -, il n'en reste pas moins que l'énergie déployée avec une grande générosité par ces jeunes acteurs et actrices revisitant la mythologie à l'aune de leur fantaisie, témoigne de leur inépuisable plaisir à expérimenter des formes déchaînées. Avec eux, "jouer au théâtre" reprend tout son sens… La liberté olympienne affichée crânement par la cinquième section de l'éstba a de quoi réjouir.

Vu le jeudi 23 juin au TnBA, Grande salle Vitez. Les autres représentations ont eu lieu les mercredi 22 et vendredi 24 juin 2022.

"ΕΞΟΔΟΣ/EXODOS (sur place ou à emporter)"

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Spectacle de sortie des élèves comédiennes et comédiens de la Promotion 5 de l'éstba - école supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine.
Création collective accompagnée par Frank Vercruyssen - tg STAN, assisté de Jeanne Bred.
Avec : Claire-Aurore Bartolo, Mathéo Chalvignac, Margot Delabouglise, Matéo Droillard, Floriane Fontan, Margaux Genaix, Barthélémy Maymat-Pellicane, Balthazar Monge, Danaé Monnot, Cesare Moretti, Ariane Pelluet, Simon Royer, Léa Sarlet, Max Unbekandt.
Durée estimée : 3 h.
Les élèves sortants bénéficient du fonds d'insertion de l'éstba jusqu'en 2025.

>> tnba.org

Yves Kafka
Jeudi 30 Juin 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter











À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024