La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"L'Avare", une vision d'un monde cynique et individualiste… Comme un miroir tendu

"L'Avare", Théâtre de l'Odéon, Paris

Dans la mise en scène de Ludovic Lagarde pour "L'Avare" de Molière, le spectateur comprend l'origine de la richesse d'Harpagon enterrée au fond du jardin. Il est mis au parfum. Cet or, cette cassette, ces 10 000 écus qui sont tout son amour au détriment de ses enfants, découle d'une activité de l'économie parallèle.



© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
Harpagon et sa famille vivent repliés dans un entrepôt où le propriétaire accapare, stocke, encaisse de la fourgue, de la camelote. Le spectateur est face à un docu-fiction sur la mafia avec des personnages directs, frustes et brutaux.

Molière et la Camorra, il fallait y penser. Molière est tiré au noir. Ce traitement ne sonne pas faux, il rend concrète la violence intrinsèque de la pièce qui est habituellement recouverte d'un voile comique quelquefois invraisemblable, farcesque, souvent histrionique.

Les comédiens sont précis et méticuleux dans ce registre réaliste. Laurent Poitrenaux, dans le rôle-titre, est admirable dans ses crises de vertiges de plus en plus accentuées, violentes et grotesques. Elles culminent dans une crise d'épilepsie au cours de laquelle ses doigts courent le plancher, rognent, crochent le sol. Une danse du diable. Harpagon mérite bien son nom.

Dans cette proposition rigoureuse, le texte de Molière démontre sa souplesse. Notamment quand le phrasé, les intonations du français contemporain s'installent comme lazzi nouveaux. C'est bien la langue qui, avec ses groupes de souffle, embellit un rap qui apparaît comme naturel au détour d'une réplique. Les scènes de pur comique résistent merveilleusement au traitement réaliste : "… il faut manger pour vivre…" devant une baraque de pizzaïolo. "… Ma cassette… ma cassette" alors que l'écran de vidéosurveillance montre le désastre dans le jardin, etc., etc. De vrais rires éclatent. Christèle Tual qui joue Frosine, en entremetteuse blonde et jupe de cuir, fait un véritable numéro d'acteur.

© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
Cependant, ce traitement contraint le jeu. Qui ne rechigne pas à des facilités, des clichés issus de téléréalité (le comportement relâché, braguette pour les jeunes gens et culotte légères ou torse ostensiblement "femen" pour les jeunes filles*). Une certaine forme de joie de jouer est absente.

L'idée qu'il existe dans cette pièce la possibilité d'une farce collective faite au méchant père (pourtant en œuvre dans le texte) passe à la trappe. D'ailleurs, le personnage de l'autre père, l'anti-Harpagon, Anselme au talent de pacificateur et d'unificateur, est purement et simplement supprimé.

La face moliéresque joyeuse et militante et communicative de la liberté est ainsi gommée au bénéfice d'une vision d'un monde cynique et individualiste. Comme un miroir tendu.

* Ce qui devient un tic théâtral.

"L'Avare"

Texte : Molière.
Texte : Molière.
Mise en scène : Ludovic Lagarde.
Avec : Marion Barché, Myrtille Bordier, Louise Dupuis, Alexandre Pallu, Laurent Poitrenaux, Tom Politano, Julien Storini, Christèle Tual et Jean-Luc Briand, Élie Chapus, Benjamin Dussud, Sophie Engel, Zacharie Jourdain, Élodie Leau, Benoît Muzard.
Scénographie : Antoine Vasseur.
Lumière : Sébastien Michaud.
Costumes : Marie La Rocca.
Maquillage et coiffure : Cécile Kretschmar.
Musique : Pierre-Alexandre "Yuksek" Busson.
Son : David Bichindaritz.
Ensemblier : Éric Delpla.
Collaboratrice artistique : Céline Gaudier.
Dramaturgie : Marion Stoufflet.
Durée : 2 h 35.

Du 2 au 30 juin 2018.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h. Relâche le dimanche 3 juin.
Théâtre de l'Odéon, Paris 6e, 01 44 85 40 40.
>> theatre-odeon.eu
© Pascal Gély.
© Pascal Gély.

Jean Grapin
Mercredi 6 Juin 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024