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Théâtre

"Vie et mort d'un poète" "Depuis trop longtemps, la terre est un asile de fous qui ne laisse pas de place aux poètes"

Carme passe sa jeunesse à errer d'un métier à l'autre. Un jour, il a une révélation : il sera poète. Telle sera sa destinée. Il écrira des vers pour faire entendre sa voix. Mais Carme nourrit une autre ambition : il aimerait vivre de sa poésie. Son âme, éprise de reconnaissance, rêve de renommée. Par bonheur, il rencontre Nallia, une jeune femme fiancée à un grand éditeur. Celle-ci tombe sous le charme de ses vers et pousse son futur mari à publier Carme. Mais il va vite déchanter en découvrant que la gloire et la renommée ont un double visage…



© Samira Chikh.
© Samira Chikh.
Diane Lotus est une toute jeune comédienne, metteuse en scène et dramaturge de 24 ans au talent déjà impressionnant. Diplômée de la Sorbonne-Nouvelle, après des études en hypokhâgne à Paris, elle signe, avec ce spectacle, sa troisième mise en scène qui s'inscrit dans une totale réussite. "Vie et mort d'un poète" est sa première mise en scène d'un texte dont elle est l'autrice.

Profondément enthousiaste (nous en avons pour preuve notre rencontre commune au Théâtre Michel Galabru où elle nous a invitée à venir voir son spectacle), opiniâtre, créative et passionnée, cette jeune comédienne mérite largement d'être connue davantage, tant l'écriture de son texte est d'une richesse exceptionnelle. De toute évidence, on sent les sérieuses études littéraires derrière elle et sa passion pour la littérature.

Son interprétation de différents personnages dans la pièce est aussi une bien belle prouesse : tantôt dans le rôle de la Pythie, d'un Marquis, ou encore de Nallia, la jeune épouse d'un grand éditeur amoureux des mots du poète, Diane Lotus semble posséder en elle tout ce qui relève de la force créatrice, laquelle ne s'apparente pas exclusivement à la fougue de sa jeunesse. Il y a en elle, quelque chose de profondément intense, notamment via l'écriture de son texte, comme une sorte d'hommage à la belle littérature, celle du XIXe ou du XVIIIe notamment. Mais pas seulement !

© David Roux.
© David Roux.
"J'ai écrit "Vie et mort d'un poète" pour offrir un cercueil de papier à mon père, mort bien trop tôt d'un cancer et qui a tant aimé les mots. C'était comme un appel à renouer avec son imagination, à ne jamais interrompre son chant intérieur. Une conversation entre mort et vivant dans un espace imaginaire, puissant, violent (…), un espace métaphysique incontestable. Je l'ai tant aimé, lui qui savait camper sur les hauteurs et capter le chant du monde, en ignorant celui d'en bas".

Ce spectacle est un pari ambitieux, largement réussi, un hommage virevoltant à la poésie et à ses pouvoirs souvent minimisés, un écrin lumineux où chaque mot est pesé, minutieusement choisi et remarquablement interprété, aussi, par l'alter ego de la comédienne, Judy Passy, incarnant le jeune poète plein d'ambition.

Ce jeune comédien-danseur en a, lui aussi, du talent. Formé à l'Acting International, il occupe le plateau avec une sorte d'incandescence et une belle maîtrise du texte (lequel frôle peut-être un peu trop, par moments, l'érudition littéraire. Mais, cela dit, chercher à atteindre l'inaccessible étoile de la perfection ne peut qu'être méritoire). Pour Diane Lotus, incontestablement, quand on aime, on ne compte pas…

"Dès lors qu'il réfléchit, le poète est considéré par le peuple comme un affranchi. C'est le vers solitaire qui ronge son énergie et s'il perd sa plume, il n'est plus qu'une frégate dont le bec attend sa portion de vers et rien ne tombe dans son gosier."

"Comprendre l'humanité quand elle ouvre la bouche. C'est cela la Poésie".

On pourrait penser que l'air de violon qui ouvre le spectacle, secondé par celui du film "Tous les matins du monde" interprété par Jordi Savall, confère à ce spectacle quelque chose de suranné, mais, pourtant, c'est une impression d'éternité qui s'en dégage grâce à la jeunesse de la comédienne et du comédien. De modernité aussi, si tant est que l'on s'intéresse à la poésie et à ses pouvoirs intemporels.

"Ce paysage originel de l'âme, que l'on nomme recueil de poésie dans le milieu de l'édition (…), comprendrait en somme tout ce que je veux faire du monde (…). Je veux (…) m'accroupir dans son urne sacrée. Je tenterai de libérer mes vers de leur carnet en les faisant publier et pas seulement être un prodige imberbe qui, à force d'ambition, finira comme Sisyphe au pied de son rocher".

Puisse Diane Lotus continuer à écrire encore longtemps, elle qui dès son plus jeune âge griffonnait déjà des vers dans la cour de récréation ; et puisse son père qui, comme Carme, possédait une véritable honnêteté intellectuelle, avoir écho, là où il est, de ce spectacle si sensible écrit pour lui par sa fille.

Puisse, surtout, ce spectacle être à nouveau programmé, bien après le 12 novembre, sur les planches d'ici ou d'ailleurs, pour élever nos âmes trop souvent en berne ici-bas et les élever un tant soit peu.

"Vie et mort d'un poète"

Texte : Diane Lotus.
Mise en scène et texte : Diane Lotus.
Avec : Diane Lotus et Judy Passy.
Costumes : Marielle Minard.
Par la Compagnie Les Coureurs de Jardin.
Tout public à partir de 10 ans.
Durée : 1 h.

Du 6 octobre au 12 novembre 2023.
Vendredi à 19 h 30, dimanche à 16 h 30.
Théo Théâtre, Paris 15e, 01 45 54 00 16.
>> theotheatre.com

Brigitte Corrigou
Lundi 6 Novembre 2023

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Brigitte Corrigou
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© Grégory Juppin.
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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

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La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023