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Danse

"Uppercut" & "One man pop", hip-hop classic or not classic ?

Hip-hop, vous avez dit hip-hop ? Anthony Egéa n'a de cesse de renouveler le hip-hop des origines - les siennes, enfant d'une cité bordelaise multiculturelle - pour le métisser avec d'autres danses, comme la noble classique dont il remet au goût du jour les pointes ostentatoires dans son "Uppercut" pour trois danseuses. Autour du "ring" moiré de noir, annonciateur du combat chorégraphié qui s'ensuit, les performeuses de la Cie Rêvolution apparaissent encapuchonnées sur fond de musique obsédante, le regard planté dans le nôtre.



"Uppercut" © Pierre Planchenault.
"Uppercut" © Pierre Planchenault.
Une première version, plus concise, nous avait été offerte en janvier 2020 dans le cadre du Festival Trente-Trente de Jean-Luc Terrade. À cette époque désormais lointaine, l'art vivant ignorait la distanciation sociale et le rapport au public se faisait frontal, sans masque. L'osmose était de règle entre les officiantes et les spectateurs, devenus depuis - à leur corps défendant certes - de transparents "spectres-acteurs", fessiers scotchés à leur chaise distante de toute présence augurée potentiellement dangereuse.

La musique électro hip-hop par essence répétitive semble traverser le corps électrisé des trois ballerines qui, ayant pris possession du ring, virevoltent sur leurs pointes, les bras levés au-dessus de visages qu'aucun sourire de circonstance n'éclaire. Regard tendu, buste raide secoué par des spasmes, elles évoluent en appui les unes des autres. Débarrassées de leur veste à capuche, tour à tour immobiles ou tournoyantes, elles s'affrontent dans un silence pesant alternant avec les assauts musicaux. Jeux d'équilibre et de tensions chorégraphiés au millimètre par un deus ex machina métamorphosant les corps virtuoses en notes de musique sur une portée savamment écrite.

"Uppercut" © Pierre Planchenault.
"Uppercut" © Pierre Planchenault.
Ce que gagne en esthétisme la nouvelle mouture, elle le perd en rage à fleur de peau, palpable point fort de la précédente édition. Certes les pointes acérées, les regards tranchés, ne laissent nul doute sur leur visée, mais l'engagement des corps pour faire entendre la révolte se trouve estompé - excepté chez l'une des interprètes à la rage chevillée au corps - par le souci prégnant de donner à voir une "forme parfaite". Comme si résidait là le passeport subliminal pour, en s'affranchissant délibérément des origines populaires du hip-hop, s'ouvrir grand les portes du Gotha de l'opéra dansant…

Ce à quoi on pourrait tout autant opposer que l'hybridation des genres, au lieu de dénaturer chacun d'eux, enrichit le tout de sa complexité en refusant toute assignation catégorique, qu'elle soit de naissance ou de culture. Cette recherche visant à s'affranchir de tout diktat, autant "naturel" que "culturel", fonde les recherches d'Anthony Egéa, chorégraphe résolument atypique dont la marque de fabrique… est de les refuser toutes.

"One man pop" © Pierre Planchenault.
"One man pop" © Pierre Planchenault.
"One man pop", forme courte, met en jeu un solo articulé à la forme précédente par le fil rouge qui les relie : échos l'une et l'autre du hip-hop, elles prennent leur propre envol pour trouver leur écriture singulière dans l'espace "choré-graphié".

Le popping, apparu sur la côte ouest des États-Unis, embrasa dans les années soixante-dix quatre-vingts les rues de San Francisco mis à feu par cette danse "électrique" alternant contractions et décontractions des muscles mis en branle par les secousses vibratoires. Au rythme d'une musique faisant corps avec son interprète au point de "mener la danse", le danseur se fait réceptacle des flux musicaux pour les traduire en gestes articulés et désarticulés, faisant montre autant d'une grande porosité d'écoute que d'une dextérité gestuelle peu commune.

Veste jaune et baskets blanches, le performeur se présente sur l'espace du ring avec le naturel d'un promeneur en balade. Mais dès que la musique commence à égrener ses notes, il se fige sur place, déploie ses bras animés peu à peu par des secousses internes comme sous l'effet de décharges électriques s'amplifiant. Accueillant en lui les oscillations de fréquence du courant musical, le corps tout entier disloqué se fait alors haut-parleur du flux énergétique le parcourant de part en part. Et lorsque l'intensité sonore se fait littéralement insupportable, les traits du visage affichent un rictus aux allures incontrôlées traduisant les forces en jeu.

Là encore, Anthony Egéa ajoute une nouvelle corde à sa frénésie exploratoire des danses. Si le popping rencontre sans nul doute ses adeptes, gagnés d'avance au mixage dans le corps du danseur interprète de la musique et de la danse se confondant en un grand tout, il peut toutefois surprendre les non-initiés, "spectateurs" de ce courant vibratoire à intensité différentielle.

"Uppercut" & "One man pop"

"Uppercut" © Pierre Planchenault.
"Uppercut" © Pierre Planchenault.
Direction artistique et chorégraphie : Anthony Egéa.
Assistante chorégraphique : Émilie Sudre.
Avec pour "Uppercut" : Jade Paz Bardet, Élodie Allary, Axelle Chagneau ou Clara Duflo.
Avec pour "One Man Pop" : Aymen Fikri ou Jimmy Duriès.
Scénographie et création lumières : Florent Blanchon.
Création musicale : Olivier Huntemann-Magnet et Franck 2 Louise – Pressure/Humanis corporis.
Costumes : Sara Béranger.
Durée "Uppercut" : 30 minutes.
Durée "One man pop" : 15 minutes.
À partir de 10 ans.
Par la Compagnie Rêvolution.

Présentation aux professionnels, selon les mesures sanitaires en vigueur, le jeudi 1er avril à 15 h à la Salle des Fêtes du Grand Parc de Bordeaux, dans le cadre de la saison Hors les Murs du Glob Théâtre de Bordeaux.

Tournées (sous réserve des conditions sanitaires en vigueur à ces dates)

"Uppercut" © Pierre Planchenault.
"Uppercut" © Pierre Planchenault.
"Uppercut"
Mai 2021 : Entre 2 Rêves, Cambes (33)
23 juin 2021 : Scènes d'été en Gironde, Artigues (33).
26 juin 2021 : En plein arts, Talence (33).
29 juin 2021 : Scènes d'été en Gironde, Festival Terre de Culture, Grand St-Emilionnais (33).
30 juin 2021 : Scènes d'été en Gironde, La Réole (33).
1er juillet 2021 : Festival Arts de rue, Urbaka, Limoges (87).
10 juillet 2021 : Via La Rue, Rions (33).
25 juillet 2021 : Scènes d'été en Gironde, Cadillac (33).
28 et 29 juillet 2021 : Ville de Niort (79).
6 et 7 août 2021 : Fest'arts, Libourne (33).
20 août 2021 : Scènes d'été en Gironde, Festival Perform, Nodris en Médoc (33).
10 septembre2020 : Scènes d'été en Gironde, Festival Emerg'en Scène, Saint-Macaire (33).
11 septembre2021 : Scènes d'été en Gironde, Le Haillan (33).
18 septembre2021 : Scènes d'été en Gironde, Castelnau-de-Médoc (33).
Septembre 2021 : Festival Kalypso, Créteil (94).
Octobre 2021 : Festival Karavel, Créteil (94).
"One man pop/Uppercut"
27 juin 2021 : Les Vivres de l'Art, Bordeaux (33).
Juillet 2021 : Été métropolitain - Saint Aubin de Médoc (33).
11 juillet 2021 : Été métropolitain - Festival des Vibrations Urbaines - Pessac (33).
22 juillet 2021 : Été métropolitain - Bègles (33).
23 juillet 2021 : Été métropolitain - Scènes d'été en Gironde, Blanquefort (33).
5 août 2021 : Fest'arts, Libourne (33).
17 août 2021 : Été métropolitain - Scènes d'été en Gironde, Lormont (33).
19 août 2021 : Été métropolitain - Scènes d'été en Gironde, Saint Médard en Jalles (33).
20 août 2021 : Été métropolitain - Saint Louis de Montferrand (33).
21 août 2021 : Été métropolitain - Mérignac (33).
25 août 2021 : Été métropolitain - Floirac (33).
28 août 2021 : La Roche-Posay (86).
Septembre 2021 : Festival Cadences, Arcachon (33).

Yves Kafka
Mercredi 21 Avril 2021

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

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© Pics.
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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

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"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

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Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
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"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

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Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

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15/09/2023