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Théâtre

Une quête marionnettique… comme un miroir de l'état du monde et de la pauvreté de nos actions

"Le Petit Théâtre du Bout du Monde", Théâtre La Criée, Marseille

Dans un univers proche du nôtre, à une date pas très déterminée et dans un lieu aux allures post-apocalyptiques, un humain manipulateur, accompagné d'un singe-taupe guide aux yeux phares, d'un administrateur, d'un appariteur, d'une vieille, d'un banquier, d'une femme en attente de bus, et autres sujets à l'artistique étrangeté invitent le spectateur à une réflexion poétique et décalée sur notre monde, son avenir… possible ou rêvé.



© Nathalie Sternalski.
© Nathalie Sternalski.
À vue, une "scène" (avec trois-quatre marionnettes au repos) posée sur un espace souterrain, véritable abri ou tanière où la vie s'organise autour d'objets hétéroclites datant de l'avant "grande numérisation" : machine à écrire, téléphone à fil, télé à tube, vieux interrupteurs de lampe en céramique, etc.

D'entrée de jeu, les spectateurs sont invités à déambuler autour de ce dispositif scénique, les séquences narratives mettant en mouvement des personnages dont les actes peuvent survenir à différents endroits des deux plateaux superposés. Ainsi ceux-ci ont la possibilité d'aborder les différentes scènes sous des angles visuels plus ou moins pertinents, devenant scrutateurs de ces petites gens qui semblent tant nous ressembler.

Et cela tant sur le plateau du dessus, classique, que dans la "cave-refuge", mystérieuse, dont l'activité et les différents éléments qui la composent sont visibles de l'extérieur grâce à un grillage à fine trame, comme un tulle fin transparent dévoilant un univers curieux et miniature excitant l'observation et l'étude.

© Nathalie Sternalski.
© Nathalie Sternalski.
Dans la création de Ezéquiel Garcia-Romeu, le public peut être actif. À trois-quatre moments répartis dans le spectacle, il est sollicité pour œuvrer en tant que machiniste pour descendre une ampoule à l'aide d'une cordelette, comme acteur involontaire et rejoindre le marionnettiste dans sa "boîte", ou pour porter une lettre, ou encore résoudre une panne d'électricité en pédalant sur un vélo dynamo d'appartement. La plupart des sollicitations émanent d'un appareil téléphonique à cadran circulaire datant d'un autre âge (époque XXe, début Ve République !) donnés en direct par le maître des lieux et du peuple des marionnettes.

Ces petits êtres étranges, singuliers, sont caractérisés par des actions quotidiennes et banales : attendre le bus, être sur les toilettes, regarder la télé, dormir, écrire, etc. Mais celles-ci sont comme figés dans des mouvements qui pourraient se renouveler perpétuellement, nous renvoyant comme un miroir nos attitudes routinières, interrogeant nos propres contraintes, notre inactivité, nos démissions par rapport aux problèmes cruciaux de notre planète : pollution des océans, réchauffement climatique, énergies renouvelables, traitements des déchets, guerres. Ces événements et catastrophes sont exprimés via la bande-son ou au travers de la télé (discours, déclarations, reportages…).

© Nathalie Sternalski.
© Nathalie Sternalski.
Comme souvent lorsque le marionnettiste manipule à vue, se dégage, le temps où brûle la flamme de vie insufflée par le "créateur", une réelle humanité des marionnettes et une profonde relation complice entre le maître et ses sujets de bois, de résine, de tissu, de mousse; de chiffons ou de tout autres matériaux utiles à la conception de ce microcosme. Et dans la représentation allégorique de ce système où nous vivons, atelier expérimental de nos futures réalités, le spectateur peut s'interroger sur sa destinée, sur sa capacité à penser… Et les marionnettes, elles, pensent-elles ?

"Le Petit Théâtre du Bout du Monde"

© Nathalie Sternalski.
© Nathalie Sternalski.
Mise en scène, scénographie et marionnettes : Ezéquiel Garcia-Romeu.
Dramaturgie et regard extérieur : Laurent Caillon.
Jeu et manipulation : Ezéquiel Garcia-Romeu et Issam Kadichi, en alternance.
Manipulation mécanismes : Thierry Hett.
Création sonore : Samuel Sérandour.
Costumes : Cidalia da Costa et Myriam Stadjic.
Peinture des décors : Claudia Andréa Mella Diaz.
Accessoires : Sabrina Anastasio.
Dessins et peintures : Ezéquiel Garcia-Romeu.
Durée : 1 h.

Du 4 au 13 mai 2017.
Mardi, jeudi, vendredi à 20 h, mercredi à 19 h, samedi à 16 et 20 h.
Scolaires : jeudi 4 et mardi 9 à 14 h 15, mercredi 10 et jeudi 11 à 9 h 30.
Théâtre La Criée, Petit Théâtre, Marseille 7e, 04 91 54 70 54.
>> theatre-lacriee.com

Gil Chauveau
Mardi 9 Mai 2017

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© Pics.
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© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

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Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023