La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Trois petits cochons" Un conte contemporain pour raconter nos frayeurs modernes et la difficulté de les porter sereinement sur scène

Trois petits cochons et un grand méchant loup… Trois petits cochons s'en vont pour construire leur maison, comme un voyage vers l'émancipation, vers le stade d'adulte, nécessitant d'affronter ses peurs intimes, celles-ci étant représentées par le loup… De ce conte pour enfants, Marion Pellissier nous donne une version à destination des grands où les terreurs convoquées sont plus de l'ordre du doute, de la solitude, de l'incertitude lors de nos choix fondamentaux… Ainsi, la fable prend une nouvelle dimension entre nos frayeurs archaïques et celles liées à la complexité de nos vies actuelles.



© Anne Lemoine.
© Anne Lemoine.
À la mort de leur mère, Andréa Cochon, les enfants quittent le foyer familial et partent bâtir leur propre maison. La fille aînée héritera des peurs de ses parents et se protégera sans cesse d’une menace invisible. Son frère cadet et sa sœur benjamine vont se rapprocher, partager les joies de leur nouvelle vie. Mais quand la menace arrivera, quand le loup apparaîtra – où le danger qu'il représente –, il faudra se préparer à l'affronter. Est ainsi évoqué ici l'effroi des personnages et des acteurs face au doute et à la terreur, à ce qui nous unit et ce qui nous met face à notre solitude, à notre rapport à la monstruosité… Car les monstres courent toujours !

Ce spectacle n'est pas destiné au jeune public. "L'enfance se retrouve dans le jeu ludique de l'acteur et dans la part plus sombre du conte, comme dans la mythologie qui fait émerger de grandes figures dramatiques ravivant des sentiments archaïques ou, du moins, universels. Dans le conte, chacun peut s’identifier à n’importe quel personnage, même au plus dangereux. La lecture subjective ouvre une large fenêtre artistique. Le conte devient ici un outil pour tisser deux trajectoires."

© Anne Lemoine.
© Anne Lemoine.
Répétition, vidéo de contrôle, manipulations techniques en coulisses, mise en avant des "techniciens", etc., différentes formes de jeux, variétés de choix scéniques et scénographiques, tous se mélangent, allant du théâtre dans le théâtre au théâtre docu, en passant par le décryptage d'un plateau de tournage. Et les genres narratifs varient, divers codes de jeux alimentent les interventions/interprétations des comédiennes et comédiens leur permettant, selon les enjeux dramaturgiques, de donner leur point de vue sur le conte populaire, base d'inspiration, et de questionner, de façon active ou pas, notre rapport au récit.

Séquence crise/règlement de compte/psychodrame entre le metteur en scène et les artistes. L'impression est donnée, à plusieurs moments, d'assister à un spectacle ayant pour thème une pièce en construction – une forme avant-gardiste, nouvelle, de "work in progress" – où s'insèrent parfois des délires burlesques. Se déroule alors sous nos yeux un subtil enchevêtrement de réalité et de fiction. Cela a pour conséquence des propositions variées, toujours différentes et inattendues, avec l'apport de projections vidéo offrant des perspectives surprenantes, décalées.

Dans sa proposition, Marion Pellissier joue la distanciation, nous narre l'histoire d'une mise en scène, d'un théâtre en déliquescence. On assiste à l'utilisation des ressorts du théâtre de boulevard ou vaudeville avec rires en fond sonore, de la tension procurée par le thriller, des frayeurs provoquées par le film d'horreur… Pour ces dernières, remarquable séquence où le "tueur" poursuit les trois enfants Cochon, courant derrière leur voiture… ou le final, superbement et drolatiquement gore, avec le loup assassin finissant en pâté, exposé sur un grand plateau… et dévoré ?

© La Raffinerie.
© La Raffinerie.
Ainsi, en plus d'explorer le lien qu’une fratrie établit face au mal, au danger, et d'étudier les relations entre acteurs, techniciens, leurs conflits, leur tendresse, leurs difficultés dans la pièce, leur solitude et leur émotion face à l’expérience scénique et à leur vie d’artistes, cette adaptation des "Trois petits cochons" explore les affres de la création, en la disséquant minutieusement, à chaque étape d'élaboration.

Et il n'est pas peu dire que comédiennes et comédiens s'en donnent à cœur joie pour construire et déconstruire, tisser et démailler ce récit dans lequel se trouvent mêlés les codes du théâtre, du cinéma et de la littérature, jetant une passerelle vibrante entre réel et imaginaire… entre l'art et la vie, tout simplement.
◙ Gil Chauveau

Vu au Théâtre Joliette, Marseille, en novembre 2024.

"Trois petits cochons - Les monstres courent toujours"

© La Raffinerie.
© La Raffinerie.
Texte : Marion Pellissier.
Mise en scène : Marion Pellissier.
Avec : Yasmine Berthoin, Charlotte Daquet, Julien Derivaz, Steven Fafournoux, Morgan Lloyd Sicard, Sabine Moindrot.
Musique et son : Thibault Lamy.
Lumière : Jason Razoux.
Vidéo : Nicolas Comte.
Costumes : Julien Derivaz et Sabine Moindrot.
Scénographie : Marion Pellissier et Gabriel Burnod.
Construction-déco : Gabriel Burnod, Jean Bastien Savet, Denis Collas et Claire Bochet.
Compagnie La Raffinerie.
À partir de 15 ans.
Durée : 2 h 10.

Tournée
15 au 17 janvier 2025 : Théâtre Jean Vilar, Grande scène, Montpellier (34).
21 au 23 janvier 2025 : Théâtre Sorano, Toulouse (31).
3 et 4 février 2025 : Théâtre de Châtillon, Châtillon (92).
7 au 9 février 2025 : Le Centquatre, Paris 19e.

Gil Chauveau
Mercredi 15 Janvier 2025

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024