La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

Shazam… Le retour éternel !

Dans cette pièce emblématique de la compagnie DCA créée en 1998, Philippe Decouflé marie théâtre, cirque, vidéo et musique dans des tableaux où la perspective joue un malin plaisir avec ce qui est et ce qui est perçu, dans un cadre autant intimiste que représentatif.



© Sigrid Colomyès.
© Sigrid Colomyès.
Cela démarre en fanfare dans la salle avant même que le public s'installe dans les gradins avec des majorettes, essentiellement masculines, accompagnées de musiciens à la trompette, à la grosse caisse et à l'accordéon. Ainsi, le premier tableau est lié au cirque et à la fête avec un solo de twirling. Nous sommes dans la thématique de la représentation et c'est autour de celle-ci que Decouflé construit son spectacle en y dévoilant, scénographiquement, son avers et son revers et en s'adjoignant la parole pour faire entendre verbalement un corps, celui du danseur avec ses omissions, son agilité et ses âges qui s'écoulent.

La scénographie est découpée en trois parties avec au milieu la scène et les côtés cour et jardin respectivement, un lieu où jouent les musiciens et symétriquement une loge d'artistes. Elle montre un partitionnement équitable des planches, faisant de chaque composant artistique une pièce maîtresse à la représentation sans que l'une soit seconde à l'autre. Le verbe est très présent avec quatre monologues identiques, donnant un parfum plutôt comique, dits de façon variée par Philippe Decouflé en premier. C'est une entrée en matière sur l'œuvre proprement dite. Il avait déjà eu l'occasion de porter ce monologue il y a plus de vingt ans, car le spectacle a été créé en 1998. La parole devient descriptive car elle est le reflet d'un état d'esprit, celui d'un danseur, qui exprime aussi les interrogations de sa création en tant que chorégraphe. La parole prend ainsi une résonance particulière puisque le verbe devient l'écho d'un esprit et d'un corps.

© Sigrid Colomyès.
© Sigrid Colomyès.
La vidéo est très présente donnant un découplage entre ce qui est projeté et sa construction réelle. Cette déconstruction permet de mettre en relation directe une perception baignée à dessein d'une illusion optique avec sa réalité, au souhait du spectateur de choisir l'une ou l'autre en regardant la vidéo ou alors ce qui est construit en parallèle sur scène. Ainsi, avec un œil grand ouvert, filmé de très près, d'un interprète qui change à tour de rôle, des protagonistes perchés ou assis à des distances variées jouent pour les uns ou pour les autres de leur bras, de leur poing ou d'un de leurs doigts pour créer, chacun, une trajectoire donnant lieu à d'autres trajectoires. Ces éléments situés à des niveaux différents de perspective et de distance, à l'aide de deux caméras, rendent ceux-là très proches alors qu'ils sont éloignés.

À travers ce numéro, Decouflé met en exergue le rapport de la vidéo à la magie optique quand la scène est dans une relation directe avec la réalité. Ce sont aussi les deux faces d'une œuvre qui montrent qu'une personne, au-delà de ses performances sportives et artistiques, est sujette au temps, à son métabolisme changeant sans que la gestique dans celles-ci n'en soit édulcorée. Et puis, c'est encore son expressivité qui est interpellée de façon plus concrète et imagée dans un tableau humoristique qui montre le corps s'exprimant par lui-même, ou ne le souhaitant pas, comme s'il était le sujet de sa propre volonté et non celui des deux danseurs.

© Laure Delamotte-Legrand.
© Laure Delamotte-Legrand.
C'est aussi un jeu de miroirs entre deux artistes se ressemblant fortement, même costumes, même légères barbes, même faciès, sans être toutefois identiques. Ils sont entourés de psychés donnant de la profondeur à leurs déplacements. Nous sommes dans un rapport à soi et à l'autre avec l'image projetée dans des miroirs, mais avec un autre reflet, une tierce personne s'étant immiscée entre-temps dans la psyché pour projeter sa propre image à celui qui la regarde. Nous sommes dans ce rapport toujours décalé entre ce qui est projeté et ce qui est, entre ce que nous voyons et ce que nous percevons, entre ce que nous sommes et ce que nous représentons.

Le propos du spectacle montre que tout être humain est beau dans son expressivité. Secs, enrobés, jeunes, moins jeunes, ridés, moins ridés, tous participent aux mêmes gestuelles avec la même grâce. La maîtrise des mouvements n'est pas là où on l'attend. Lestes, sensuels, ils sont presque nonchalants, montrant une certaine fragilité. Un danseur se glisse sur un autre par le biais des épaules pour rouler sur son dos et rebondir par terre. Les mouvements s'étendent avec des membres inférieurs qui s'allongent, se replient en solo, en duo ou dans des danses de groupe. La gestique est souvent lente comme se déroulant dans un espace-temps où une décomposition donne à voir les différentes articulations corporelles.

© Sigrid Colomyès.
© Sigrid Colomyès.
Ce sont aussi des duos où, dans l'un d'eux, les interprètes se font face, avec des bascules sur les plats des pieds, les membres inférieurs et supérieurs bien étendus et les avant-bras remontant et faisant des angles droits. Nous sommes toujours dans une certaine représentativité mais paradoxalement très intérieure comme si chacun sur les planches gommait la présence du public en se concentrant exclusivement sur sa gestuelle. Et toujours à une vitesse où la rapidité n'est jamais invitée. Et puis, il y a aussi une photo de groupe final avec une bande-son de castagnettes dont les rias sont mimés par toute la compagnie avec leurs seules mains.

C'est le corps dans sa pleine expression sans que maîtrise et synchronisation soient présentes. L'important est cette gestuelle qui coordonne les mouvements entre eux avec parfois une certaine retenue, douceur. Pas de rapidité, pas de tension, pas de déséquilibre. Même si la beauté est présente, elle ne semble pas recherchée. Ce qui est recherché est un lien entre un âge et un être pour casser les préjugés de ce qu'il peut représenter socialement et artistiquement avec une concision dans la gestuelle. La précision ne devient pas un repère pour exprimer ainsi une certaine fragilité. Et le tout se coordonne, gommant les différences de sexe, de corpulence et de séniorité sans les annihiler.

"Shazam"

© Sigrid Colomyès.
© Sigrid Colomyès.
Direction artistique : Philippe Decouflé.
Musiques originales et interprétation live : La Trabant composé de Sébastien Libolt, Yannick Jory, Paul Jothy et Christophe Rodomisto.
Avec : Manon Andersen, Flavien Bernezet, Meritxell Checa Esteban, Stéphane Chivot, David Defever, Éric Martin, Alexandra Naudet, Olivier Simola, Violette Wanty, Christophe Waksmann.
Lumières : Patrice Besombes.
Accessoires : Pierre-Jean Verbraeken.
Costumes : Philippe Guillotel assisté de Peggy Housset et Jean-Malo.
Direction technique : Lahlou Benamirouche.
Régie générale : Patrice Besombes et Begoña Garcia Navas, en alternance.
Construction : Guillaume Troublé.
Régie vidéo/cinéma : Laurent Radanovic.
Régie lumières : Chloé Bouju.
Régie plateau : Léon Bony & Anatole Badiali.
Régie son : Jean-Pierre Spirli.
Films : Michel Amathieu, Jeanne Lapoirie et Dominique Willoughby.
Collaboratrices artistiques : Daphné Mauger et Pascale Henrot, en alternance.
Par la Compagnie DCA.
Durée : 1 h 30.

du 30 juin au 10 juillet 2022.
Du mardi au vendredi à 20 h, samedi à 15 h et 20 h, dimanche à 15 h.
Grande Halle de La Villette, Paris 19e, 01 40 03 75 75.
>> lavillette.com

Safidin Alouache
Vendredi 8 Juillet 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024