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Théâtre

"Ruy Blas" Une revisite du célèbre mélodrame tout en délicatesse et subtilité ou comment trop aimer et s'y perdre

Ruy Blas, un valet de pied ambitieux, tombe amoureux de la reine d'Espagne et décide de se venger de la noblesse espagnole qui opprime le peuple. Parallèlement, don Salluste de Bazan, un noble déchu par la reine, cherche à se venger et, pour ce faire, va utiliser Ruy Blas en le faisant passer pour noble.



© Ludo Leleu.
© Ludo Leleu.
Est-il encore nécessaire de présenter Olivier Mellor et la Compagnie du Berger ? Parmi les grands(es) amateurs et amatrices des planches – ou les moins grands d'ailleurs –, qui ne le connaît pas ? En trente ans d'existence, sa compagnie a déjà présenté trente-huit spectacles et son constant esprit de troupe, de musique, d'énergie et de textes n'a jamais failli. Bien au contraire.

Implantée à Amiens depuis 2010, la compagnie a pour partenaire fidèle le Théâtre de l'Épée de Bois de la Cartoucherie de Vincennes ainsi que la Compagnie de Picardie. Par ailleurs, c'est une longue histoire qui l'unit aussi à la musique, persuadée de l'impact émotionnel de cette dernière sur les spectateurs. Depuis 2007, la compagnie collabore avec Toskano et son orchestre et, cette fois-ci à nouveau, la magie de la combinaison des images et du son opère fort agréablement.

"Pour nous, la musique devient aussi naturelle et manifeste sur le plateau que le texte joué par les comédiennes et comédiens. Souvent, ces derniers(ières) chantent aussi ou jouent d'un instrument, et les musiciens se mettent à jouer",]i Olivier Mellor.

© Ludo Leleu.
© Ludo Leleu.
Avec "Ruy Blas", nouvelle adaptation du célèbre texte de la littérature française, ce "théâtre musical", auquel la troupe est très attachée, ravit à nouveau le public sans commune mesure. Après l'électro de Vladimir Vernay entendu dans "L'Établi", les chansons écrites spécialement pour "Les Apologues" d'Alain Knapp ou encore la formation type "baloche" de "La Noce", la place est donnée cette fois-ci aux traditionnels violoncelle et contrebasse. Mais c'est sans compter sur l'originalité sans failles de la troupe qu'un accordéon et un saxophone sont aussi présents sur scène, apportant à ce célèbre mélodrame un regain de modernité et d'élévation "un peu comme au cinéma" (sic).

Le propos de la pièce qui traite, à bien y regarder, de transfuge de classe et, comme c'est souvent le cas à ce titre, d'amour impossible ou encore d'inégalité sociale, ne nous apparaît pas si éloigné que ça de notre époque contemporaine !

"Dans un monde où "saisir sa chance" est une expression répétée à l'envi, où les peuples sont constamment opposés les uns aux autres, ainsi que les différentes communautés qui les composent, où on encourage les jeunes générations à corriger nos erreurs tout en préservant nos intérêts, on peut dire que "Ruy Blas" cherche à susciter l'émotion (…). On feint d'ignorer les inégalités, mais elles sont pourtant bien présentes, partout et toujours", Olivier Mellor.

© Ludo Leleu.
© Ludo Leleu.
La salle était très calme en ce lundi 9 octobre au Centre Jacques Tati d'Amiens. Une représentation réservée aux scolaires et à quelques rédacteurs(trices), chroniqueurs(euses). Une grande toile rouge carmin tombe du plafond devant laquelle trône une simple chaise. Puis des musiciens comédiens font leur entrée, apportant à ce début de spectacle un bien joli moment hors de nos temps contrariés et tourmentés.

Ensuite, les changements de décors se font à vue avec agilité et fine organisation. Il s'agit là d'un choix scénographique affiché qui n'enlève rien à la bonne conduite du propos de la pièce… Le texte en alexandrins est maîtrisé brillamment pour l'ensemble des comédiennes et comédiens, avec une mention particulière, pour leur interprétation, à Marie-Laure Desbordes dans le rôle de la duchesse, et d'une duègne, et à Emmanuel Bordier dans celui de Ruy Blas.

"Madame, sous vos pieds, dans l'ombre, un homme est là (…) qui souffre, ver de terre amoureux d'une étoile (…) et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut".

© Ludo Leleu.
© Ludo Leleu.
Avec cette nouvelle adaptation de "Ruy Blas", via des trouvailles scénographiques et de décors originaux, Olivier Mellor et sa troupe réveillent les propos de Victor Hugo et permettent bien des échos sur notre société contemporaine : l'Espagne de l'époque qui n'est pas en grande forme et qui n'est pas sans rappeler certains pays aujourd'hui, le cas des trans-classes et des inégalités, l'élitisme, l'injustice, les satisfactions personnelles au détriment de l'intérêt de la nation, etc.

L'intégralité du texte n'a pas été conservée et nous ne le déplorerons pas, car le résultat est là : fluide, juste et fidèle à ce monument de la littérature française.

"Ruy Blas"

© Ludo Leleu.
© Ludo Leleu.
D'après l'œuvre de Victor Hugo.
Mise en scène : Olivier Mellor.
Musique originale : Séverin Toskano Jeanniard.
Avec : Marie-Laure Boggio, Emmanuel Bordier, Christophe Camier, Caroline Corme, François Decayeux, Marie-Laure Desbordes, Fred Egginton, Séverin Toskano Jeanniard, Olivier Mellor, Adrien Noble, Louis Noble, Rémi Pous et Stephen Szekely.
Musiciens : Christophe Camier (accordéon), Séverin Toskano Jeanniard (contrebasse), Adrien Noble (violoncelle), Louis Noble (sax ténor).
Scénographie : François Decayeux, Séverin Toskano Jeanniard, Olivier Mellor avec le concours de la Courte Échelle.
Son : Séverin Toskano Jeanniard.
Lumière : Olivier Mellor.
Costumes : Bertrand Sachy assisté de Gunjidmaa Loucheut, avec le concours des élèves de BTS Métiers de la mode du lycée Édouard Brany à Amiens et de leurs professeurs Cécile Estienne et Véronique François.
Durée : 3 h 10 (entracte compris).

Spectacle créé les 23, 24 et 25 mai 2023 à la Maison de la Culture d'Amiens - Scène nationale.

Du 9 au 17 octobre 2023.
Lundi 9 et mardi 10 à 14 h, mercredi 11 à 19 h 30, jeudi 12 à 14 h, vendredi 13 à 10 h, dimanche 15 à 16 h, lundi 16 à 14 h et mardi 17 à 19 h 30.
Centre culturel Jacques Tati, Amiens (80), 03 22 46 01 14.
>> ccjt.fr

Du 16 novembre au 3 décembre 2023.
Jeudi, vendredi et samedi à 21 h, dimanche à 16 h 30.
Théâtre de l'Épée de Bois, Salle en pierre, La cartoucherie, Paris 12e.
>> epeedebois.com

Brigitte Corrigou
Jeudi 12 Octobre 2023

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
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Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023