La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Please, Please, Please" Deux danseuses et un auteur… pour une fable chorégraphiée aux vertus insoupçonnées

Réunir sur un même plateau (de danse ? de théâtre ?) deux chorégraphes danseuses connues pour leur liberté artistique sans frontières - La Ribot et Mathilde Monnier - et un auteur metteur en scène au talent protéiforme - Tiago Rodrigues, futur directeur du Festival IN d'Avignon 2023 - ne pouvait manquer d'attiser notre intérêt tant leur engagement est au-dessus de tout soupçon. Quant au résultat… il nous a séduits - "sur pièces".



© Mila Ercoli.
© Mila Ercoli.
D'emblée, les yeux sont captés par la scénographie qui questionne bien au-delà du rationnel et nous immerge dans un univers sans attaches propre à cristalliser tout le monde que nous portons en nous. Un monde fait de beautés intranquilles que côtoient des questionnements plus sombres liés à l'à-venir. D'abord, l'énigme présentée par ce démesuré serpent grillagé, hantant l'autre scène, comme la trace mnésique d'un monstre du Loch Ness susceptible autant de faire rêver que d'engloutir. Ensuite, ces deux créatures rampant au sol en se désarticulant, de la tête aux pieds, moulées dans des combinaisons aux couleurs électriques les propulsant dans une fiction du type "2021 L'Odyssée de la planète Terre", de qui sont-elles le nom ?

Tous les ingrédients d'une fabuleuse immersion dans l'avant monde de l'après sont là réunis ; si on leur ajoute une musique entêtante empruntant entre autres à Béla Bartók de nombreux extraits et un texte sorti tout droit de l'imaginaire solaire de son auteur, on pressent avec envie la nature de la cérémonie hors normes à laquelle nous allons être conviés…

© Mila Ercoli.
© Mila Ercoli.
Avant que le langage ne leur soit donné pour articuler une pensée aux allures prophétiques - n'évitant aucunement les saillies sibyllines, à l'instar de celles rendues naguère par la Pythie tirant son nom de Python, un autre serpent légendaire… -, ce sont leur corps qui vont "parler". De soubresauts en soubresauts, de contorsions en contorsions, d'élans en élans, ces corps rampent, (s')explorent, avancent, reculent, vibrent sur le tempo de percussions qui les électrisent de part en part. Corps "transfigurés" par l'emballement des allegros, luttes des temps farouches pour s'extraire des limbes d'une humanité en cours de création.

Aura lieu la rencontre émouvante de ces deux créatures "se découvrant" (au propre comme au figuré, se dépouillant de leur cagoule) afin de faire interpénétrer leurs histoires. L'une livrera celle de cette serveuse d'Hiroshima extrayant un Château Margot 1928 d'une cave… au moment précis où une explosion assourdissante anéantissait tout alentour. L'autre confiera une plage de l'Atlantique… et la contemplation de la mer "à perte" de vue. Des cauchemars, il en sera aussi question sous forme d'un renard, d'une baleine, d'un animal étrange gigantesque engendré par les peurs ancestrales.

Et puis, pointera cette velléité de "s'affranchir" d'un monde dont on ne veut plus, sous la forme d'une lettre adressée au père, une lettre à "ne pas prendre à la lettre" puisqu'elle ne fut jamais postée. Il y aura aussi cette tentative insensée de traverser l'océan à la recherche du mythe du bon sauvage dont on apprendra la langue pour pouvoir mettre à sa portée toutes les "richesses" civilisationnelles… celles qui, in fine, scelleront sa disparition. Il y a feu en la demeure et l'aveuglement règne. Détourner son regard du manège en surface pour vivre comme un rat, devenir rat pour survivre dans les catacombes d'un monde courant à sa perte…

© Mila Ercoli.
© Mila Ercoli.
Après la mort annoncée, l'allégorie d'une nouvelle naissance, celle d'un enfant "parlant une autre langue", une promesse à laquelle l'enfant à lui-même peine à croire… Des histoires en boucle qui font boule de sens, pour faire naître d'autres récits en engendrant d'autres. Est-ce ainsi que les hommes (sur)vivent ?

De dé-lire en dé-lire (soutenu par l'auteur invitant en creux à occuper pleinement l'espace offert par cette fable chorégraphiée), de corps à corps rythmés à l'unisson d'une musique endiablée sur fond d'une scénographie enivrante, nous sommes conduits vers des contrées où la raison raisonnante n'a plus place - et c'est tant mieux car seules les créations oniriques ont le pouvoir "sensuel" de réfléchir nos désespoirs et espoirs.

Quant à l'interprétation, d'une tonicité "spectaculaire", de ces deux figures de la chorégraphie contemporaine échappant à tout diktat stérilisant, elle ne peut que provoquer un (ir)respectueux "chapeau bas, les artistes !"

Vu le jeudi 21 octobre 2021 à 20 h à La Manufacture CDCN de Bordeaux en coréalisation avec le TnBA.

"Please Please Please"

© Mila Ercoli.
© Mila Ercoli.
Création de La Ribot, Mathilde Monnier, Tiago Rodrigues.
Avec : Mathilde Monnier, La Ribot.
Traduction : Thomas Resendes.
Musique: Béla Bartók (extraits).
Lumières: Éric Wurtz.
Scénographie : Annie Tolleter.
Réalisation scénographie : Christian Frappereau, Mathilde Monier.
Costumes : La Ribot, Mathilde Monnier, Marion Schmid, Letizia Compitiello.
Création musique et régie son : Nicolas Houssin.
Direction technique et régie lumière : Marie Prédour.
Régie plateau : Guillaume Defontaine.
Durée : 1 h.

Tournée
Du 11 au 13 novembre 2021 : Théâtre Jean-Claude Carrière, Domaine d'O, Montpellier (34).
Du 16 au 19 novembre 2021 : Théâtre Garonne, avec le ThéâtredelaCité - CDN, Toulouse (31).

Yves Kafka
Samedi 6 Novembre 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024