La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Perdons la boule dans le monde complètement toqué de Patrick Sims

"Le Vieux de la montagne", Monfort Théâtre, Paris

Difficile de passer à côté du spectacle de Patrick Sims, "Le Vieux de la montagne". Le nom de ce marionnettiste américain ne vous dira peut-être rien. C’est son deuxième spectacle avec la Cie Les Antliaclastes. Entrer dans leur univers, c’est accepter de se recevoir une décharge "électromécanique" (comme ils l’appellent) puissance mille. C’est époustouflant et c’est dans La "Cabane", la toute nouvelle salle du Monfort Théâtre.



Le Vieux de la montagne / Patrick Sims © Mario del Curto.
Le Vieux de la montagne / Patrick Sims © Mario del Curto.
Il est plus facile au marionnettiste de faire entrer son chameau dans le chas d’une aiguille qu’au critique de faire entrer ce papier au royaume des "saints" ! Quelle entreprise que celle de vouloir décrire l’univers de Patrick Sims et de son équipe ! La tâche est tellement colossale, le nombre de ses personnages articulés est si important, la perfection et la beauté apportés à ce travail sont si étonnants… qu’on en reste coi ! Enfin, pas trop, sinon point de critique… Mais restons modestes pour saluer à sa juste hauteur ce magnifique spectacle.

D’un côté, Sisyphe, à force de pousser indéfiniment sa boule est devenu un squelette monté sur ressorts. De l’autre, le monde est une énorme décharge à ordures où se côtoient des "human animals", personnages étranges, mi-hommes, mi-bêtes et quelques fois navets. C’est dans ce monde en décomposition que se rencontrent et se bousculent nombre d’influences. Le plateau fourmille de détails, un peu comme les peintures de Jérôme Bosch (dont Patrick Sims se réclame), où créatures étranges, monstrueuses et laides se mélangent.

Le Vieux de la montagne / Patrick Sims © Mario del Curto.
Le Vieux de la montagne / Patrick Sims © Mario del Curto.
Mais Patrick Sims a voulu avant tout, à travers cet "opéra électromagnétique", revisiter le mythe de Hassan Sabbah, fondateur de la secte des Assassins (celui qui offrit du haschich et des femmes à ses hommes pour leur faire croire qu’ils pourraient entrer au royaume de Dieu une fois morts). Aussi, les tableaux, comme les décors, se superposent avec une habileté déconcertante et d’une décharge publique, la scène se transforme en "Jardin des délices". On est bien aux portes du paradis dans ce nouveau décor. Mais cela pourrait être aussi le monde avant destruction par le pouvoir américain et Hiroshima ? Ou serait-ce celui de Bosch bien sûr, mais aussi de William Burroughs, de ses hallucinations et des enjeux de l’empire américain ? Les tableaux se superposent et se démultiplient en autant d'interprétations possibles que d'univers et de personnages. Du vraisemblable au faux-semblant, de l'illusion à l'illusionnisme, on en attrape le tournis !

Le Vieux de la montagne / Patrick Sims © Mario del Curto.
Le Vieux de la montagne / Patrick Sims © Mario del Curto.
Côté références nous sommes loin du compte. Mais quelle importance ? Les personnages sont totalement atypiques… Parfois, ils sortent d’un film de Sergio Leone, d’autres fois… on ne sait pas. Du tyrannosaure qui défie un rat au flipper, de jolis choux-fleurs transformés en "claudettes", des chien-flics (nos préférés) à la queue bien dressée. Ces monstres nous sont à la fois familiers et étranges. En tout cas, ils hantent notre esprit. Parfois le rire fuse. Parfois il reste coincé entre étonnement et émerveillement.

Le spectateur est un peu comme cette boule de flipper (élément récurrent du spectacle), il se laisse volontiers entraîner dans la spirale un peu folle de sa lancée, même si on finit toujours par "perdre la boule" dans le monde complètement toqué de Patrick Sims. Pas grave, elle finit toujours par retomber, non ?

"Le Vieux de la montagne"

Le Vieux de la montagne / Patrick Sims © Mario del Curto.
Le Vieux de la montagne / Patrick Sims © Mario del Curto.
Écriture, mise en scène, scénographie et marionnettes (conception et construction) : Patrick Sims.
Masques, accessoires, costumes, marionnettes : Josephine Biereye, Zana Goodall
Musique : Ata Ebtekar.
Éléments sonores et musicaux : Ergo Phizmiz, Oriol Viladomiu, Patrick Sims.
Construction du flipper, lumière à la création : Erik Zollikofer.
Création vidéo et mapping : Ilan Katin, Raúl Berrueco.
Constructions : Richard Penny, Nicolas Hubert.
Machines électromécaniques et musicales : Oriol Viladomiu.
Création et réalisation du costume Ah ! Pook : Laure Guilhot.
Élaboration et conception du réseau flipper/son/vidéo : Alex Posada.
Contribution aux recherches : Michael Lew, Philippe Hauer, Sophie Barraud.
Régie lumière : Sophie Barraud.
Régie plateau : Nicolas Hubert.
Régie son et vidéo : Oriol Viladomiu.
>> www.antliaclastes.com

Du 16 avril au 27 avril 2013 à 19 h.
Monfort Théâtre, Paris 15e, 01 56 08 33 88.
>> lemonfort.fr

Mardi 23 Avril 2013

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024