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Avignon 2024

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.



© Ève Pinel.
© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

© Ève Pinel.
© Ève Pinel.
Au fil de ces différentes scènes, on finit par savoir, par comprendre, ce qui s'est réellement passé. Les deux petiots de cinq ans sont tombés dans le bassin après avoir brisé la glace. La description des événements qui suivent exprime, sans violence, la souffrance des parents, la destruction du cercle familial, l'insupportable douleur générée, l'enterrement, mais aussi, paradoxalement, l'oubli du traumatisme du petit frère. En effet, généralement, dans ce type de situation, les premiers soutiens, accompagnements, vont aux parents.

Cet oubli va s'enfouir dans les tréfonds de la mémoire enfantine, toujours, au plus jeune âge, partielle, délayée, pour ensuite ressurgir petit à petit dans l'existence de Miguel-Ange. Il décide alors de faire de cette tragédie familiale une pièce de théâtre. Pour exorciser la souffrance, la douleur toujours présente du drame passé, en en amplifiant, à certains moments, la dramaturgie... mais avec une manière poétique, décalé de raconter le contexte dramatique, d'exprimer les émotions, ces dernières étant souvent sous-jacentes, retenues.

"Mon petit grand frère" trouve son excellence théâtrale à la fois dans le jeu du comédien, tout en nuances et en maîtrise de la palette émotionnelle, celui-ci nous conduisant sans difficulté dans son univers tourmenté, mais aujourd'hui apaisé, dans un récit imagé, baignant dans la chaleur ou la froideur provençale, et dans la mise en scène de Rémi Cotta, simple mais illustrative, empreinte d'une sobriété inventive.

Le texte de Miguel-Ange Sarmiento est marqué du sceau de la souffrance enfouie qui bouleverse tant par sa concentration de forces émotionnelles que par la trajectoire familiale, affective, ainsi décrite. C'est également nous faire connaître les voies menant à l'apprentissage d'une nouvelle vie et une déclaration l'amour à son frère, à ses parents et à la résilience que permet l'acceptation apaisée des souvenirs douloureux.

"Mon Petit Grand Frère"

© Ève Pinel.
© Ève Pinel.
Texte : Miguel-Ange Sarmiento.
Mise en scène : Rémi Cotta.
Avec : Miguel-Ange Sarmiento.
Régisseur : James Groguelin.
M-A.S Productions.
Tout public à partir de 12 ans.
Durée : 1 h.

•Avignon Off 2024•
Du 29 juin au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 14 h 55. Relâche le lundi.
Théâtre 3S, Salle 2, 4 rue Buffon, Avignon.
Réservations : 04 90 88 27 33.
>> theatre3s.com

Tournée
30 juillet 2024 : Château, Mouans-Sartoux (06).
17 août 2024 : Espace culturel Le Poustou, Tourtour (83).
30 août 2024 : Représentation privée, Cagnes-Sur-Mer (06).
14 septembre 2024 : Les rencontres au jardin, Nîmes (30).
5 et 6 octobre 2024 : Théâtre de l'Atelier bleu, Fontaines (89).

Gil Chauveau
Vendredi 14 Juin 2024

Nouveau commentaire :

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Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
11/03/2024
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Yves Kafka
30/08/2024