La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2024

•Off 2024• "Madame Bovary" Une relecture théâtrale, pétillante et savoureuse, mêlant une talentueuse alternance de genres

Deux jeunes femmes décalées, lucides et très drôles, reviennent sur l'un des plus grands romans de la littérature. Leur objectif : raconter "Madame Bovary, Mœurs de province" – son titre complet – à ceux qui ne le connaissent pas, ou à ceux qui l'ont bien lu, il a plusieurs années, mais qui n'en gardent pas un souvenir impérissable !



© Philippe Laurent.
© Philippe Laurent.
S'attaquer à l'un des fleurons de la littérature française, considéré comme "Le" premier roman réaliste, était à nos yeux un pari audacieux. De toute évidence, ce roman de Flaubert paru en 1857, qui fut attaqué par les procureurs du Second Empire pour immoralité et obscénité, et qui a fait scandale, ont de toute évidence grandement marqué les deux comédiennes autrices et interprètes de la pièce.

"Nous sommes des générations de lycéens forçats qui se sont farcies "Madame Bovary" sous la contrainte, alors, nous, pauvres folles, on l'a relu vingt ans plus tard". En ce qui nous concerne, ce roman, nous l'avons enseigné de longues années, et contrairement à Camille et Marion, ce ne fut jamais un pensum que de le faire ! Loin de là… Mais là n'est pas le propos de cet article… De ce fait, nous appréhendions quelque peu cette revisite théâtrale du roman. Avouons-le !

Ce pari, les deux comédiennes en rêvaient secrètement depuis longtemps. Il est possible que ce soit ce temps de maturité qui ait œuvré en leur faveur, car le résultat sur scène est très convaincant. Faire d'un classique de la littérature, et non des moindres, une pièce de théâtre, aurait pu s'avérer bien risqué, au risque de nous répéter !

Évoquer le long processus de fabrication du roman par Gustave Flaubert, sans aucun moment de faiblesse ni d'ennui, relève véritablement d'une prouesse. Nous aurions bien aimé avoir autant de talent, lors de nos années d'enseignement, afin de jeter sur cet ouvrage monumental un tel regard si juste et si pertinent.

© Philippe Laurent.
© Philippe Laurent.
L'académisme de l'ouvrage, qui a quand même, rappelons-le, donné naissance à la théorie du "bovarysme", est revisité ici de manière virevoltante et très efficace et, à aucun moment, le public ne s'ennuie, contrairement à son héroïne, et, tout d'un coup, cette dernière nous paraît moins insupportable et plus attachante ! Avoir enseigné, avec conviction et plaisir, ce roman aux futurs bacheliers, ne nous a pas empêchée de ne pas être en phase totale avec les agissements de ce célèbre personnage, comme son suicide, par exemple.

Il fallait y penser, quand même : adapter ce roman au théâtre ! La mise en scène épurée laisse une grande place au jeu des deux comédiennes qui ont su choisir, selon nous, avec espièglerie, humour et justesse, les scènes essentielles du roman. Le dosage est pertinent, car il aurait pu en être autrement. Emma, Charles, Rodolphe revivent sous nos yeux de façon très moderne, notamment grâce à la mise en scène d'Edward Decesari qui a fait le choix d'introduire des chorégraphies originales.

Le duo "Marion Pouvreau Camille Broquet" fonctionne très bien et il a su mettre en exergue un certain regard féminin sur l'ouvrage, sans se targuer de visions féministes revendicatrices ni trop ostentatoires. Encore une fois, l'ensemble revisité de cette œuvre intemporelle est agencé de manière intelligemment décalée et vraiment virtuose. On y découvre particulièrement que la manière de vivre au XIXe siècle n'est pas si éloignée de la nôtre… Les thèmes de la famille, du couple, de la maladie ou encore de la mort, ou sans doute de manière plus inquiétante de celui de la place de la femme encore aujourd'hui, sont brillamment convoqués et interprétés.

"Pour toi, celui qui a un doute : l'auteur, c'est Balzac ou Maupassant ? Pour toi qui as souffert à sa lecture. Pour toi, l'amoureux ou l'amoureuse de Flaubert qui tolère qu'on parle de lui avec humour. Pour toi qui liras Madame Bovary sur le Net, en te contentant de son résumé, ce spectacle est pour vous."

Camille Broquet et Marion Pouvreau se sont peut-être identifiées à certains moments de l'écriture de leur pièce à Charles, à Emma, à leur couple difficile, à l'amour aussi, mais leur processus créatif a œuvré avec une grande sensibilité.

"L'ennui interminable d'Emma Bovary a résonné en nous. La relecture du roman a été douloureuse parfois, drôle aussi, et nous nous sommes retrouvées par moments dans cette histoire. Nous avons grandi, et ce roman nous a purement et simplement absorbées".

Bien leur en a pris de grandir, car assister à cette relecture théâtrale du célèbre roman est un bien joli moment de théâtre, pétillant et savoureux, mêlant alternance de genres, semblant d'improvisation, doublage, rythme et humour absurde. Le tout bardé d'un talent notoire.

"Madame Bovary (en plus drôle et moins long)"

Classique revisité en duo humour.
Texte : Marion Pouvreau et Camille Broquet.
Mise en scène : Edward Decesari.
Avec : Camille Broquet et Marion Pouvreau.
Lumières : Simon Maulevrier.
Tout public à partir de 8 ans.
Par la Cie Le Monde au Balcon.
Durée : 1 h 15.

•Avignon Off 2024•
Du 3 au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 11 h 30. Pas de relâche.
Théâtre des Corps-Saints, Salle 1, 76, place des Corps-Saints, Avignon.
Réservations : 04 84 51 25 75.
>> theatre-corps-saints-avignon.com

Tournée
25, 26 et 27 octobre 2024 : Story Board, Conflans-Sainte-Honorine (78).
Du 28 novembre au 7 décembre 2024 : Théâtre de Poche Graslin, Nantes (44).
29 et 29 janvier 2025 : Petit Manoir, Asnières-sur-Seine (92).
22 février 2024 : Le Dépôt, Gaillac (81).
4 avril 2025 : Théâtre Georges Brassens, Saint-Laurent-du-Var (06).
25 avril 2025 : Quai des Arts, Vibraye(72).

Brigitte Corrigou
Lundi 1 Juillet 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024