La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2024

•Off 2024• "Le Misanthrope" ou une revisite contemporaine époustouflante de justesse

Alceste est atrabilaire jusqu'au bout des ongles. Il hait la nature humaine en tous points, surtout celle de la Cour et de la société mondaine, et épingle plus que tout les mœurs de son temps. Sa misanthropie fait finalement de lui le plus droit des hommes et le plus loyal, mais il lui manque une vertu : l'indulgence pour la conduite de ses semblables. Cela le pousse dans un rigorisme et une franchise extrêmes. S'il reçoit un compliment, il n'y verra que mensonge et hypocrisie, imposture, intérêt, trahison ou fourberie.



© Bernard Gilhodes pour la Cie Thomas Le Douarec.
© Bernard Gilhodes pour la Cie Thomas Le Douarec.
Paradoxalement, il est follement amoureux de Célimène, une femme, toute récemment veuve qui est l'égérie de cet univers qu'il hait tant : celui de la Cour où tout n'est que frivolité, apparences, faux-semblants, trahisons. Mais pas question pour lui de se plier aux compromis de cette société mondaine.

Parviendra-t-il à la faire quitter ce monde d'apparat, à lui pardonner en espérant qu'elle le suive dans sa retraite et ce qu'il appelle "son désert" ?

On se souvient que la soirée fut belle ce mercredi 22 juin à l'occasion de la première représentation de la pièce aux Écuries de Versailles dans le cadre de la 26ᵉ édition du "Mois Molière" en 2022, un mois de théâtre et de musique en plein cœur de la ville. Un fort joli lieu qui nous avait donné un avant-goût d'Avignon. Une représentation en plein air, sous le soleil, devant une salle comble et enthousiaste qui nous avait déjà totalement comblée.

De cette pièce, où Molière peint avec brio le cœur et l'âme humaine, Thomas Le Douarec a su en préserver la substantifique moelle et ne garder que l'essentiel des intentions de l'auteur : tendre coûte que coûte vers la vérité humaine et chercher un sens profond à l'existence, alors qu'à la Cour, tout pousse aux grimaces et au port du masque ! Encore lui… Déjà !

© Bernard Gilhodes pour la Cie Thomas Le Douarec.
© Bernard Gilhodes pour la Cie Thomas Le Douarec.
Nous n'avons pas pu rater la nouvelle programmation de la pièce au Théâtre de l'Épée de Bois à la Cartoucherie de Vincennes et c'est à nouveau avec un énorme plaisir que nous l'avons redécouverte.

Pas de soleil en ce samedi frisquet, mais de la neige sur les pelouses de la Cartoucherie de Vincennes et, surtout, un autre espace tout aussi majestueux : celui de la salle en pierre de l'Épée de Bois.

Dans cette adaptation par la Compagnie Thomas Le Dourec, la majesté des alexandrins est respectée et interprétée avec brio par l'ensemble des comédiens et comédiennes de la distribution. Une mention toute particulière, tout de même, pour la puissance et l'interprétation magistrale de Jean-Charles Chagachbanian dans le rôle d'Alceste. La passion de Thomas Le Douarec pour cette pièce a été secondée très largement par la force de conviction de son ami comédien qui voue depuis longtemps son amour pour ce personnage de Molière. À n'en point douter, la magie de leur complicité et de leur amitié œuvre toujours efficacement, et ce, pour le plus grand bonheur des spectateurs.

Le résultat est époustouflant de maîtrise, notamment dans la juste répartition du comique et du tragique. Cela dit, pas de parti pris ostentatoire. Dans la mise en scène de Thomas Le Douarec, rien d'inutile ne dépasse et le parti pris du basculement contemporain de l'histoire sonne extrêmement juste : les téléphones portables jonglent harmonieusement entre les mains des comédiens, leurs images projetées sur le vaste mur en pierre de fond de scène sont justement bienvenues, sans compter la musique d'introduction électro de Thylacine qui irradie le tout…

Tout est taillé au cordeau, tant dans le jeu des huit comédiens et comédiennes que dans la scénographie sobre, mais suffisamment efficace pour rappeler que même 400 ans après son écriture, "la pièce est toujours à l'image du monde d'aujourd'hui : une pièce qui illumine ma vie de comédien et de metteur en scène. L'histoire de cet homme qui recherche sa vérité dans un monde perverti et hypocrite. Pour Molière, le constat est amer : la bonté et l'amour ne sauveront jamais le monde et la vérité encore moins…", Thomas Le Douarec.

© Bernard Gilhodes pour la Cie Thomas Le Douarec.
© Bernard Gilhodes pour la Cie Thomas Le Douarec.
Vu sous cet angle particulier, on peut se demander qui est finalement le plus misanthrope ! Molière lui-même ? Alceste ? Ou finalement un peu chacun et chacun d'entre nous qui, tout compte fait, sommes un peu toujours des Don Quichotte, nous battant contre des moulins à vent en œuvrant le mieux possible dans nos petites vies afin de trouver notre juste place dans la société ? Ou cherchant à la fuir sans y parvenir tout à fait… Le débat autour de cette pièce restera longtemps ouvert tant que des metteurs en scène, à l'image de Thomas Le Douarec, oseront s'y coller. Pour le plus grand bien de tous !

Les choix scénographiques de ce metteur en scène prolixe (qui a déjà à son actif plus d'une cinquantaine de productions) n'occultent en rien le texte du célèbre dramaturge. Bien au contraire. Encore une fois, ils subliment avec justesse le texte en alexandrins qui est porté haut et fort par les comédiens et les comédiennes, sans excès ni volonté ostentatoire d'être dit juste pour être dit !

Les décors nous plongent d'emblée dans une réalité contemporaine affichée : deux fauteuils en PVC transparents, une guitare électrique, une rangée de néons fluorescents pointés vers le ciel, des seaux à champagne remplis de bouteilles. Ceux-ci embrassent une action scénique ponctuée de deux morceaux de musique à la guitare électrique juste à leur place, d'entrées et de sorties rigoureuses et flamboyantes des comédiens et comédiennes, tous très beaux et très belles à plusieurs égards…

Jean-Charles Chagachbanian et Jeanne Pajon, interprétant respectivement les rôles d'Alceste et de Célimène, gardent tout au long de la représentation une ampleur virevoltante et fine dans leurs interprétations. Philippe Maymat dans le rôle de Philinte (qui scelle avec bonheur, à l'occasion de cette pièce, ses retrouvailles avec Thomas Le Douarec) parvient par son jeu et à son charisme à tempérer les excès d'Alceste.

Cette nouvelle mise en scène de Thomas est un délice. "Je souhaite que le spectateur soit ébranlé par ce qu'il a vu : une vision sans compromis de notre époque contemporaine", Thomas Le Douarec.

Nous l'avons été à nouveau, quant à nous, conquise, en ce samedi janvier où, fidèle à lui-même face à l'enthousiasme du public conquis, Thomas Le Douarec a pris la parole lors des applaudissements et a salué chaque comédien et chaque comédienne de façon un peu nostalgique… Pourquoi cette tradition au théâtre a-t-elle disparu ?
Chapeau bas, Thomas ! Et merci ! Merci !

"Le Misanthrope"

Texte : Molière.
Adaptation, mise en scène : Thomas Le Douarec.
Assistantes à la mise en scène : Caroline Devismes et Virginie Dewees.
Avec : Jean-Charles Ghagachbanian, Philippe Maymat, Thomas Le Douarec, Jeanne Pajon, Justine Vultaggio, Rémi Johnsen ou Théo Lima, Valérian Béhar-Bonnet ou Jules Fabre, Caroline Devismes.
Lumières : Stéphane Balny.
Costumes : Marlotte.
Musique : Valérian Béhar-Bonnet.
Décors : David Lionne et Jérôme Lebertre.
Par la Compagnie Thomas Le Douarec.
À partir de 10 ans.
Durée : 1 h 55.

Du 6 au 23 juin 2024.
Du jeudi au samedi à 21 h, samedi et dimanche à 16 h 30.
Théâtre de l'Épée de Bois, Salle en pierre, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12ᵉ, 01 48 08 39 74.
>> epeedebois.com

•Avignon Off 2024•
Du 29 juin au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 15 h 50. Relâche les 1er et 2 juillet.
Théâtre Les Lucioles, Salle Mistral, 10, Rempart Saint-Lazare, Avignon.
Réservations : 04 90 14 05 51.
lucioles.resa@gmail.com
>> theatredeslucioles.com

Brigitte Corrigou
Vendredi 31 Mai 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024