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Avignon 2022

•Off 2022• "Tartuffe" Une approche en musique et en chanson pour délivrer un surprenant message féministe

Qui ne connaît pas Tartuffe, le plus grand des hypocrites, faux dévot aussi, prêcheur de vertu opportuniste et très ambitieux. Cet homme réussit à en manipuler un autre, Orgon, archétype du personnage de cour, totalement dupe, tombé sous sa coupe et qui ainsi devient son directeur de conscience. Au point de se voir proposer d'épouser Marianne, la fille de son bienfaiteur, alors même qu'il tente de séduire Elmire, la seconde femme d'Orgon, plus jeune que son mari.



© Philippe Hanula.
© Philippe Hanula.
C'est là qu'intervient Dorine, la suivante de Marianne, figure éclairée féministe avant l'heure, jamais à court d'arguments pour dénoncer les manœuvres. Elle tient ici un rôle central et mène la révolte, non seulement contre l'imposteur, mais surtout contre la veille société machiste et patriarcale.

Réussira-t-elle à faire triompher le sens moral ?

Cette pièce, créée en 2021 par la Compagnie des 100 Têtes et mise en scène par Grégoire Aubert, se rejoue à nouveau cette année au festival 2022 pour le plus grand plaisir des spectateurs. Le lieu a changé, mais l'énergie des trois talentueuses comédiennes, musiciennes, chanteuses, est resté intacte, voire s'est affiné. L'espace scénique du Théâtre de l'Adresse, plus grand que celui du Théâtre de l'Optimist l'an dernier, magnifie leur jeu virevoltant et rend leur complicité encore plus palpable.

© Philippe Hanula.
© Philippe Hanula.
Grâce au choix des masques de la commedia dell'arte permettant aux comédiennes de changer de rôles masculins de façon régulière, la mise en scène dynamise l'adaptation scénique de la célèbre pièce de Molière en la rendant fort originale, mais sans aucunement dénaturer le texte. Un grand bravo à Grégoire Aubert pour cette mise en scène dans laquelle les ruptures de rythmes et de ton apaisent parfois les colères et les déceptions des personnages.

Les femmes masquées deviennent des hommes et l'ensemble est jouissif…

Le phrasé des alexandrins prononcés à l'unisson et sans écueil tout au long de la pièce par les trois brillantes comédiennes est remarquablement maîtrisé et leurs propos virevoltent, diffusant un message clair et limpide. Le tout est ponctué par des intermèdes au violon interprétés par Théodora Carla, par de sensibles notes au violoncelle jouées par Anaïs Khairouzane et par des chansons de variétés qui ravissent le public comme, par exemple, "Paroles, paroles, paroles" de Dalida que chante justement Sophie Millon.

Dans cette maisonnée où les relations humaines et les choses sont diablement entremêlées, Dorine, la servante, interprétée magistralement par Théodora Carla, mène la situation de main de maître en tant que femme lucide et observatrice. Son jeu est à la fois taillé au cordeau et subtilement créatif. Sophie Millon, quant à elle, formée au théâtre et au clown, emporte la pièce par ses jeux corporels expressifs et explosifs à travers lesquels on sent une très grande maîtrise du métier. N'oublions pas bien sûr Anaïs Khairouzane dont le jeu empreint de douceur et d'exigence couronne la pièce d'un petit bijou chatoyant qu'on aimerait voir briller encore et encore.

Mais tout a une fin malheureusement. Cela dit, le festival d'Avignon ne fait que commencer ! Alors, courez vite à la bonne adresse, celle du Théâtre de l'Adresse afin qu'indirectement Molière vous adresse un message virilement féministe.

"Tartuffe"

"Quand les femmes prennent le pouvoir !"
Texte : Molière.
Adaptation et mise en scène : Grégoire Aubert.
Avec : Théodora Carla, Anaïs Khaizourane, Sophie Millon.
Bande-son et lumières : Benjamin Civil.
Décors : Jean-Michel Halbin.
Costumes : Marie-Pierre Callies.
Par la Compagnie des 100 Têtes.
Tout public à partir de 6 ans.
Durée : 1 h 15.

•Avignon Off 2022•
Du 7 au 30 juillet 2022.
Tous les jours à 14 h 15, relâche le mardi.
Théâtre de l'Adresse, 2, avenue de la Trillade, Avignon
Réservations : 04 65 81 17 85.
>> theatredeladresse.com

Brigitte Corrigou
Mardi 12 Juillet 2022

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023