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Avignon 2022

•Off 2022• "Qui sait ce que voit l'autruche dans le sable" Des marionnettes beckettiennes… joyaux d'une grande poésie

À notre avis, nul besoin de savoir que ce spectacle de marionnettes est très largement inspiré par l'œuvre de Samuel Beckett dont la comédienne Isabelle Martinez est passionnée depuis toujours. Car une grâce poétique s'en dégage d'emblée qui se suffit à elle-même. Mais il est vrai que l'apport tout en finesse de la dimension littéraire de Beckett apporte au spectacle une tout autre dimension.



© Olivier Padre.
© Olivier Padre.
Les jeunes enfants y verront une succession de scènes propres à leur univers enfantin dans lequel divers personnages jouent les choses de leur vie sans se poser davantage de questions. Les plus âgés qui auront lu et apprécié Beckett à sa juste valeur y découvriront une transposition très sensible et très originale de ce qui a fait de ce dramaturge un des plus grands écrivains du XXe siècle.

Sur scène, un grand plateau de sable duquel Isabelle Martinez fait émerger successivement divers objets aux dimensions symboliques, mais qui finiront tous à la poubelle.
"Trash !" "Trash !" "Trash !" L'univers de Beckett surgit au grand jour pour qui voudra bien l'entendre et le voir.

Puis quelques personnages clownesques et très attachants apparaissent sous la dextérité toute maîtrisée de la comédienne. Et, là encore, l'univers si particulier de Beckett est retransposé de façon très originale comme, par exemple, son rapport à la mort. C'est un minuscule petit oiseau rouge dans une cage dorée qu'Isabelle Martinez met en scène à ce titre. Ce petit oiseau est mort et de petites plumes virevoltent dans l'air avant de se déposer sur le blanc du sable.

© Olivier Padre.
© Olivier Padre.
"C'est la vie" dira en sourdine la comédienne dont la parole en filigrane émaille le spectacle avec justesse et minimalisme. Comme chez Beckett au demeurant chez qui rien n'est ostentatoire. Bien au contraire !

Avec son chapeau melon et sa combinaison grimée de poussière faisant allusion aux nuits des personnages de Beckett passées dans la rue ou sous les ponts, semblable à Estragon dans "En attendant Godot", Isabelle Martinez nous transporte avec brio aux côtés de ses marionnettes poétiques dont on aimerait qu'elles ne disparaissent pas dans leurs boîtes respectives ! Winny, Willie, Melloy, Loulou ou encore le Chat-asticot nous ravissent par leur esthétique mettant l'accent sur des corps "empêchés", des corps "prisons". Chose qui pourrait les rendre laids. Mais c'est bien l'inverse qui se produit.

Les "marionnettes beckettiennes" d'Isabelle Martinez sont des joyaux d'une grande poésie qui nous invitent à relire encore et encore l'œuvre de Samuel Beckett, sans relâche. Certes, les thèmes de l'enfermement, de la solitude, de l'absurdité de la vie, de notre finitude, y sont souvent évoqués. Mais tout ceci n'est-il pas simplement notre condition humaine ? Et la regarder bien en face comme à l'occasion de ce bien joli spectacle, n'est-ce pas là le meilleur moyen d'aller mieux et de continuer à avancer ?

Ne ratez pas ce spectacle programmé encore pour quinze jours au festival. Courez-y même et essayez peut-être à la fin de trouver une réponse au questionnement indirect que soulève Beckett via Isabelle Martinez : "N'importe quel imbécile peut fermer l'œil, mais qui sait ce que voit l'autruche dans le sable…".

"Qui sait ce que voit l'autruche dans le sable"

© Olivier Padre.
© Olivier Padre.
Librement inspiré de l'œuvre de Samuel Beckett.
Texte : Isabelle Martinez.
Mise en scène : Isabelle Martinez.
Avec : Isabelle Martinez.
Fabrication marionnettes : Isabelle Martinez et Charles Rios.
Scénographie : Charles Rios.
Lumières : Valérie Becq.
Son : Matthieu Bastin.
Par la Compagnie La Pata Negra (Île de la Réunion).
Durée : 55 minutes.

•Avignon Off 2022•
Du 7 au 26 juillet 2022.
Tous les jours à 10 h 10, relâche le mercredi.
Théâtre des Lila's, entrée rue Rateau (angle rue Londe), Avignon.
Réservations : 04 90 33 89 89.
>> festivaloffavignon.com

Brigitte Corrigou
Samedi 16 Juillet 2022

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© Jean-Louis Fernandez.
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© Jean-François Delon.
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