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Avignon 2022

•Off 2022• "Le Rêve d'un homme ridicule" La vie est (réellement) un songe

Jean-Paul Sermadiras, à l'allure christique et au port imposant du romancier russe, apparaît, s'immobilise, toise longuement du regard la salle… L'effet d'ordre hypnotique produit par cette entrée dans le vif du sujet fera que, une heure durant, nous ne le quitterons pas un instant des yeux, aimantés par sa présence magnétique. Sa voix, au diapason, fait résonner le texte pour donner à "voir" à elle seule les paysages intérieurs de la psyché torturée de "l'homme ridicule".



© Charles Hermand.
© Charles Hermand.
Être continûment confronté au regard dévalorisant des autres, au point de "faire corps" avec l'image d'un ridicule fini qu'ils renvoient de votre personne, constitue une expérience mettant à mal l'ego, frappé de sidération. Cela peut aller jusqu'à déclencher une pulsion auto-destructrice afin d'en finir une fois pour toutes avec l'abjection de soi collant à la peau. Mais quand - miracle divin -, dans un rêve euphorisant, la réalité se met à "exister" sous une forme lumineuse, le sujet renaît des cendres auxquelles il était destiné.

Fiodor Dostoïewski, l'auteur de cette nouvelle fantastique, était un homme torturé, écartelé entre l'attirance pour un socialisme progressiste, où la question du libre arbitre était centrale, et un penchant mystique très prégnant traversant son œuvre monumentale. Dès lors, rien d'étonnant qu'il ait pu produire à l'état de veille ce récit qui cristallise en lui les formations inconscientes échappant à son contrôle.

Les limites labiles entre veille et sommeil, réalité et rêves, ces limbes indistincts où séjournent les âmes de ceux que la réalité ne reconnaît pas, sont sources de révélations conduisant à modifier profondément l'angle d'attaque du réel. Ainsi, à cet homme qui était prêt à passer de l'autre côté du miroir pour fuir son image dégradée, il lui suffit ce soir-là que son chemin croise une petite fille éplorée pour que le rêve, "voie royale qui mène à l'inconscient", produise ses effets performatifs.

© Charles Hermand.
© Charles Hermand.
Lui qui avait préparé l'arme pour se donner la mort, revolver posé sur la table face à lui, s'endort dans son fauteuil Voltaire… Et là, les images oniriques qui le gagnent, l'entraînent à voguer en état d'apesanteur en compagnie d'un être inconnu l'ayant tiré du cercueil où il avait été enseveli. Il y aurait donc - dans les rêves - une vie après la mort ?

Tout n'est que beauté et amour dans ce monde rêvé. Cette sensation de plénitude, de faire corps avec le cosmos… Et soudain, il hurle, la musique se déchaîne, devient criarde, les traits du visage se tordent et le corps du rêveur est traversé par des transes. La beauté et la bonté insupportables se sont muées en leur inverse sous l'effet de l'homme pervertissant tout ce qu'il approche.

Au réveil, l'homme ayant éprouvé dans sa chair l'expérience du bien et du mal, sait ce qu'il doit prêcher. Un sens est donné à son existence, sans lequel elle s'abîmait dans le ridicule jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Récit "illuminé" de Fiodor Dostoïewski, rendu lumineux sous l'effet de l'incarnation saisissante proposée par Jean-Paul Sermadiras, qui se coule à s'y confondre dans le costume du protagoniste torturé, puis exalté par sa nouvelle condition d'homme exhortant à la concorde.

"Le Rêve d'un homme ridicule"

© Charles Hermand.
© Charles Hermand.
Texte : Fiodor Dostoïevski.
Traduction : André Markowicz.
Adaptation : Jean-Paul Sermadiras.
Mise en scène : Olivier Ythier.
Avec : Jean-Paul Sermadiras.
Collaboration artistique : Gilles David, sociétaire de la Comédie-Française.
Scénographie et lumières : Jean-Luc Chanonat.
Création sonore : Pascale Salkin.
Costumes : Cidalia Da Costa.
Cie Le PasSage.
À partir de 9 ans.
Durée : 1 h.

•Avignon Off 2022•
Du 7 au 30 juillet 2022.
Tous les jours à 17 h 25, relâche le mardi.
Théâtre de l'Étincelle, 14, place des Études, Avignon.
Réservation : 04 90 85 43 91.
>> festivaloffavignon.com

Yves Kafka
Dimanche 10 Juillet 2022

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

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© Pics.
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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

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Brigitte Corrigou
08/09/2023
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© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

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Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023