La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2022

•Off 2022• "L'Odeur de la guerre" La vie qui brûle dedans et le corps qui éclate soudainement

Julie Duval, seule sur le plateau de la petite salle de La Scala nous tend les bras. Indirectement car, pendant que le public, nombreux ce soir-là, s'installe paisiblement, la comédienne s'échauffe comme une boxeuse avant de monter sur le ring.



© Gilles Ceparro.
© Gilles Ceparro.
Justement ! Julie Duval est également boxeuse et sa tenue le souligne.
Dans cette pièce, "L'odeur de la guerre", tel un uppercut émotionnel, Julie se prénomme "Jeanne". Simple et belle.

Traits fins et visage qui, déjà, racontent un parcours ou, plus simplement, un chemin. Le sien.
La douceur de sa voix se transforme tout au long de ce "combat" théâtral quand elle endosse et incarne des personnages.

D'abord le père, la figure, ce père à qui il est important de plaire que l'on ait 6 ou 20 ans.
Puis la mère, celle dont on parle mais qui ne dit rien, ou si peu, et qui aime tellement son chien. Cet animal qui reçoit l'amour quand l'enfant l'attend, toujours…

La sœur qui ne porte pas de prénom et qu'elle appelle "ma sœur". Sœurs complices qui se soutiennent quand l'enfance prend soudain un autre visage.

© Gilles Ceparro.
© Gilles Ceparro.
La grand-mère qui, comme une fée consciente de ses erreurs passées, souhaite pour "Jeanne" le meilleur dans cette étrange société.

Julie petite, Jeanne Julie, adolescente et cette vie qu'elle nous raconte dans une ville où se faire une place n'est pas facile. Fuir ? Est-ce bien utile ? Et que fuit-elle ? Une famille ? Cet homme qui a profité salement d'elle ? Ses "modèles" de femmes dans lesquels elle ne se reconnaît pas ?

Où voyage-t-elle quand elle ne s'écoute pas ? Quand une autre prend le pas et qu'elle ne se reconnaît pas. Quand elle vit une autre vie dont, justement, elle ne veut pas !

Boxer combattre le mal qui ronge et dans lequel elle replonge même partie à des centaines de kilomètres de son nid. Boxer. Frapper. Cogner. Exorciser telle une aventurière de son âme dont la boxe guide ses pas.

Des coups ! Elle en aura reçus avant de "frapper" à la porte d'une salle de boxe. Cette coach génialement incarnée qui sûrement dans un coin du ring l'a sauvée. Parce qu'à un moment le mâle devient danger et qu'il est temps de se libérer.

Son père, alors qu'elle n'était qu'une enfant, lui enseignait des petites frappes pour passer le temps. Plus qu'un souvenir, c'est un cadeau qu'elle a su ouvrir à retardement. Et elle a bien fait de prendre ce temps. De sentir la vie autrement pour devenir elle-même et de faire d'un jeu d'enfant une passion qui l'anime.

Comédienne talentueuse. Animée, passionnée et terriblement généreuse, Julie Duval est sublimée par une mise en scène élégante et une lumière minutieusement travaillée.

"L'odeur de la guerre" est un arôme qui lui ressemble. La vie qui brûle dedans et le corps qui éclate soudainement.

Cette année au festival d'Avignon, j'ai pris quelques claques. Celle qu'offre Julie Duval m'a, en plus, tiré quelques larmes. De ses coups au corps et coups au cœur, ses cris venus de l'intérieur font désormais briller ses poings de grande artiste. Et perso, K-O j'ai été !

"L'Odeur de la guerre"

© Gilles Ceparro.
© Gilles Ceparro.
Seule en scène engagée.
Texte : Julie Duval.
Mise en scène Juliette Bayi.
Avec : Julie Duval.
Création lumière : Nolwenn Annic.
Par la Compagnie C'est pour ça.
Durée : 1 h.

•Avignon Off 2022•
Du 12 au 30 juillet 2022.
Tous les jours à 21 h, relâche le lundi.
Théâtre La Scala Provence, Salle La Scala 60, 3, rue Pourquery de Boisserin, Avignon.
Tél. : 04 65 00 00 90.
>> lascala-provence.fr

Isabelle Lauriou
Vendredi 15 Juillet 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | À l'affiche ter


Brèves & Com


Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023