La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2022

•Off 2022• "Je ne suis pas un héros" Une performance fragile doué d'une étonnante sensibilité

Et si Orphée s'appelait Harry. Et si Orphée qui s'appelle Harry était un chanteur de rock. Et si Orphée qui s'appelle Harry, qui est chanteur de rock, qui est le plus grand fan de Daniel Balavoine, décidait de descendre aux enfers chercher Louie, son amant, le jour de son enterrement afin de lui dire tout ce qu'il n'a jamais pu lui dire, pour un ultime concert de rock, une incarnation pour tenter de le ramener parmi les vivants…



© Éric Bobrie.
© Éric Bobrie.
Ce seul en scène interprété par Thomas Zuani à la Chapelle des Antonins de la Factory est un spectacle troublant aux allures d'ovni, et ce, dès les premières secondes. C'est en tout cas ainsi que nous l'avons reçu. Serait-ce le lieu de la représentation au nom de "chapelle" qui suscite ce sentiment ou tout autre phénomène abscons et inexplicable ? Chercher une réponse n'en vaut pas la peine car c'est bien du spectacle dont nous devons parler ici.

Le jeune comédien Thomas Zuani, formé au Conservatoire régional de Paris et sélectionné en 2018 pour les Talents Adami, lance dans cette création un "SOS d'un terrien en détresse" à travers lequel le spectateur, pour qui la vie n'a pas été pas un long fleuve tranquille - ou qui l'est toujours… -, saura ressentir de très forts échos ! Bien lui en a pris de quitter ses études juridiques afin de se lancer dans l'art dramatique et la poésie. La scène française du théâtre aurait été bien en peine de ne pas le découvrir.

Car il en a du talent, Thomas Zuani ! À travers ce spectacle, il questionne avec une grande sensibilité et un juste équilibre dramatique toutes nos peurs et nos interrogations existentielles en ancrant ces dernières dans un mythe fondateur incontournable, celui d'Orphée et Eurydice. La mise en scène virevoltante et très ludique de Chloé Zufferey transporte l'allusion au mythe dans une modernité bien palpable car Daniel Balavoine y côtoie les enfers et croise sur sa route le célèbre chanteur trop tôt disparu.

© Éric Bobrie.
© Éric Bobrie.
"J'ai choisi Eurydice et Balavoine car tous deux ont traversé les épreuves de la vie grâce à la force de leur chant poétique". Improbable, s'il en est, que ce choix tout personnel et particulier de la part du comédien. Mais cela fonctionne à merveille. Le spectateur rit parfois et ne perd pas une miette de la représentation, même lorsque le comédien quitte le plateau et réclame à la régie de lui ouvrir les portes pour sortir. Mais la porte de sortie, il ne la trouve pas… Il erre, affolé, angoissé un peu partout parmi les spectateurs, tel un moucheron égaré dans les feux des phares, mais il nous revient étincelant et lumineux, tout de paillettes vêtu.

Parce que la vie prend toujours le dessus quand bien même on pense sombrer lors de la perte d'un être cher. On rebondit, on remet de l'ordre dans le désordre ambiant, on remet le micro debout, on s'accroche, on allume des bougies pour que la lumière soit, encore et encore !

Ce moment scénographique d'une tentative d'abandon du plateau, allégorie sensible de celui potentiel de la vie, est-il un clin d'œil à la fin si émouvante du spectacle où le comédien, suivi de près par son amant décédé dans un corps-à-corps vertigineusement élégant, parvient à nous imaginer nous aussi dans l'étreinte des êtres chers disparus et de l'amour interrompu ?

© Éric Bobrie.
© Éric Bobrie.
La scène est charnelle sans tomber dans l'excès et Thomas Zuani incarne là un personnage fragile doué d'une étonnante sensibilité. Dans toute la représentation cela dit, et ce, pour notre plus grand plaisir théâtral !

Aucun temps mort lors de cette heure de spectacle intense. Notamment lorsque le comédien disparaît, laissant le spectateur à ses propres interrogations. Paradoxe qui fait de la création un véritable mystère !

"Comment aller dessous pour les retrouver, vous savez ceux qui…, comment faire pour les retrouver, pour les ramener parmi les vivants ?"

Dans ce spectacle subtilement écrit, Thomas Zuani oscille entre la pantomime et une forme de masque à la commedia dell'arte, jouant de toutes nos interrogations récurrentes aux élans existentiels. Il y a chez lui du Groucho Marx, du Charlie Chaplin, du Raymond Devos qui, eux aussi, ont fait des faux pas, mais qui s'en sont toujours relevés.

Il est certain que ce spectacle marquera le festival d'Avignon et que cette prouesse emportera ce comédien de talent sur le chemin de la lumière mais non pas vers celui des enfers.

"Je ne suis pas un héros"

Texte : Thomas Zuani.
Mise en scène : Chloé Zufferey, Thomas Zuani.
Avec : Thomas Zuani.
Collaboration artistique : Camille Dordoigne.
Créatrice Lumière : Lison Foulou.
Régisseur : Benjamin Mornet.
Par la Compagnie La Weshe ou Bande W.
Tout public.
Durée : 1 h.

•Avignon Off 2022•
Du 7 au 30 juillet 2022.
Tous les jours à 17 h 25, relâche le lundi.
La Factory Chapelle des Antonins, 5, rue Figuière, Avignon.
Réservations : 09 74 74 64 90/07 78 26 38 23.
>> chapelle-des-antonins-avignon.com

Brigitte Corrigou
Mardi 19 Juillet 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024