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Avignon 2022

•Off 2022• "Broken" Passer d'une vie cassée à une vie avenir… à l'espérance créative

On peut tout imaginer sur le plateau, la scène de théâtre, la piste de cirque, sauf l'accident en cours de jeu… C'est pourtant ce qui est arrivé à Véro Dahuron, en représentation de Grouchenka dans "Les Frères Karamazov", un soir à Troyes… Une chute et la perte d'un œil. "Broken" n'est pas que la chronique d'un destin qui se brise mais bien celle du nouveau sens à lui donner, de l'inédite vitalité à imaginer, d'une nouvelle force à trouver… pour continuer.



© Tristan Jeanne-Valès.
© Tristan Jeanne-Valès.
"Broken" est une histoire pour marcher vers la guérison, la renaissance, la reconstruction… Une performance sur la fragile ligne du dicible, du soutenable… tant pour la comédienne "cassée" que pour le spectateur potentiel porteur de lésions enfouies.

Se résoudre à l'impossible, à la différence, à l'inéluctable franchissement du point de non-retour… Accepter de vivre une nouvelle vie, se soumettre, s'adapter à celle-ci… Comme Frida Khalo, vivre "avec"… le changement, la douleur, le poids social parfois induit, le regard des autres, son propre regard, son œil intérieur… Tout en vivant "sans", ou du moins le tenter. Car, non, plus rien ne sera jamais comme avant !

Les privations/amputations évoquées - Romy Schneider et son fils, Guillaume Depardieu et sa jambe - offrent une ardeur symbolique contradictoire à la volonté de lutter, de se "réhabiliter" de Véro Dahuron qui, au-delà du récit de l'accident, des souffrances, veut reprendre l'histoire où elle s'est brisée, terminer la représentation interrompue, passer le gué de l'avant à l'après…

© Tristan Jeanne-Valès.
© Tristan Jeanne-Valès.
"Broken" contient une forme de violence sourde mais prégnante comme peut l'être la douleur psychique et/ou physique du manque. Cela, pour chacun des spectateurs - au regard d'une éventuelle résurgence d'expériences pénibles dues à une blessure/altération passée -, pourrait devenir insupportable si, avec une incroyable intelligence de jeu et d'à-propos, Véro Dahuron ne désamorçait pas, avec humour, chant et musique, poésie ou tirade dynamique agrémentée de compléments picturaux judicieusement choisis, les effets anxiogènes de certains passages de sa narration, parfois architecturée de séquences en forme documentaire ou en introspection in vivo.

Tout est en direct, sur le plateau, à vue, musique, sons électriques et électroniques, vidéo via la technique d'incrustation par vidéo projecteur, lumières en élaboration simultanée, etc.
Rapidement les intentions de mise en scène (de Véro Dahuron et Guy Delamotte) apparaissent claires, évidentes : ne jamais mélanger la fiction et le réel, ne jamais se tromper entre la théâtralité dramatique et la réalité à vocation réparatrice, constructive, à l'espérance créative.

C'est une véritable performance que réalise Véro Dahuron. S'appuyant sur un séquençage d'actions (chants, expressions picturales, poésie, interpellations ludiques, etc.) parfaitement maîtrisée, fluide et rythmée, elle est entourée d'artistes engagés dans ce cheminement, appuyant ou allégeant ses interventions. Tous acteurs "joueurs", dynamisant les situations, répondant, oralement, musicalement, avec talent aux sollicitations programmées ou improvisées de la comédienne. L'une des plus belles, émouvantes et inventives séquences concerne la mise en place d'un "kintsugi"* avec les pages de la pièce de Fiodor Dostoïevski.

Tout est en tension, en équilibre précaire sur le fil mental de la possible guérison, en faisant appel à des témoignages, entretiens, hommages, exposés "cliniques", ou exploration de destin théâtralisé, et porté précédemment sur scène comme "Frida Kahlo" (créé en 1997). La force du Panta-théâtre - et des artistes qui le composent - est de traiter les sujets les plus risqués, les plus périlleux avec une virtuosité de mise en scène, d'interprétation qui leur donne une forme profonde de légèreté et une simplicité qui forge l'espoir dans les moments de vies les plus difficiles. Une proposition spectaculaire en manière de régénération des vivants.

* Peut se traduire par "jointure à l'or". C'est une technique artistique japonaise qui permet de réparer des pièces de porcelaine ou de céramique grâce à de l'or. L'art du kintsugi peut être utilisé comme symbole et métaphore de la résilience.

"Broken"

© Tristan Jeanne-Valès.
© Tristan Jeanne-Valès.
Conception : Véro Dahuron et Guy Delamotte.
Co-mise en scène : Véro Dahuron et Guy Delamotte.
Avec : Véro Dahuron, Antek Klemm.
Lumières et percussions : Fabrice Fontal.
Musique : Jean-Noël Françoise.
Vidéo : Laurent Rojol.
Par le Panta-théâtre.
À partir de 14 ans.

•Avignon Off 2022•
Du 7 au 28 Juillet 2022.
Tous les jours à 16 h 20, relâche le lundi.
Présence Pasteur, Salle Jacques Fornier, 13, rue du Pont Trouca, Avignon.
Réservations : +33 (0)4 32 74 18 54.
>> presence-pasteur.fr

Gil Chauveau
Vendredi 10 Juin 2022

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
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© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

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Gil Chauveau
26/03/2024