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Théâtre

"Nana" toute crue !

"Nana", Théâtre Lucernaire, Paris

Porter une œuvre de Zola à la scène ? Culot ? Inconscience ? Folie ? En une heure ? Vu le pavé, on craint forcément les raccourcis un peu rapides. D’autant qu’il s’agit d’un Théâtre-récit : Céline Cohen et Régis Goudot prennent la parole et racontent… "Nana". Et pourtant cela fonctionne : l’adaptation est intelligente, l’interprétation osée mais brillante.



Céline Cohen et Régis Goudot dans "Nana" © A. Mompo.
Céline Cohen et Régis Goudot dans "Nana" © A. Mompo.
Lorsqu’on entre dans le théâtre rouge du Lucernaire et qu’on voit Céline Cohen avec ses lèvres couleur sang, ses cuisses se tordant de désir et ses petits seins en pointe dans sa jolie nuisette, on s’attend au pire. On se dit d’abord qu’elle est belle et courageuse de se produire ainsi sur scène, mais qu’elle ne peut être tout à fait Nana. Forcément, qui connaît le célèbre roman d’Émile Zola est un tantinet pointilleux sur la question et arrive (malheureusement) bardé d’a priori. Mais le duo Cohen-Goudot met en déroute nos préjugés et remet au goût du jour la "Vénus anadyomène" (1) d’Emile Zola.

Nana est blonde, Nana est grasse, et Nana est crasseuse. Elle est tout à la fois belle et hideuse. Elle est la Vénus désenchantée des poètes de la fin du XIXe siècle, la "Passante" baudelairienne (2), souvenez-vous, celle "qui fascine et qui tue" ; et la "Vénus" rimbaldienne, celle qui finit avec "un ulcère à l’anus" (3) ! À l’image de cet étalage de chair qui termine en décomposition, Nana est l’exact reflet de l’Ancien régime... pourri jusque dans ses fondations ; absolument en déconfiture. Et c’est bien cela que notre couple d’artistes met en relief, cette image d’une société en putréfaction.

Céline Cohen et Régis Goudot dans "Nana" © A. Mompo.
Céline Cohen et Régis Goudot dans "Nana" © A. Mompo.
Et adapter ce roman autrement, tenter d’en faire un personnage plus incarné serait une gageure. Avec ce choix de narration assumée, on évite l’impaire de passer à côté du personnage et du texte pour rester fidèle au romancier et à ce qu’il a voulu dire. Ainsi, les passages choisis (entre autre Nana au théâtre, Nana dans la maison de campagne offerte par le comte Muffat, l’article de la "Mouche d’or", etc.) permettent de mettre en avant la somptueuse crasse de l’héroïne.

De l’Ancien régime à notre société vieillissante et détraquée, quelle différence ? Remettre au goût du jour ce roman dans une mise en scène à minima et contemporaine (un canapé, deux micros) ajoute à la modernité du personnage. Le jeu de Régis Goudot ou de Céline Cohen, parfois volontairement décalé ou hystérique, illustre parfaitement la dimension du personnage. Et penser que ces choix d’interprétation sont vulgaires, serait alors méconnaître l’œuvre en profondeur.

"À Berlin" (4) crient les uns, au Lucernaire crient les autres, Nana vous mangera toute crue !

(1) Titre donné par Rimbaud à son célèbre poème dans "Les Cahiers de Douai".
(2) "À une passante" de Baudelaire, dans "Les Fleurs du Mal".
(3) Tiré du même poème.
(4) C'est ainsi que se termine le roman d’Émile Zola.

"Nana"

D'après Émile Zola
Adaptation, mise en scène : Céline Cohen, Régis Goudot.
Avec : Céline Cohen, Régis Goudot.
Régie son et lumière : Stanislas Michalski.
Création lumière : Philippe Ferreira.
Décor et accessoires : Sha Presseq.
Durée : 1 h 15.

Du 25 septembre au 17 novembre 2013.
Du mardi au samedi à 21 h 30, le dimanche à 17 h.
Le Lucernaire, Théâtre Rouge, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

Mardi 22 Octobre 2013

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