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Théâtre

Molly Bloom : Percevoir l'élasticité du monde dans le va-et-vient des sentiments

"Molly Bloom", Théâtre des Bouffes du Nord, Paris

Au terme de seize ans de fidélité à son homme, Molly, nouvelle Pénélope, vient pourtant de tromper son mari Léopold Bloom, qui comme Ulysse, pérégrine dans Dublin, hume et sirote, refait le monde, s’affale et ne pouvant faire chambre à part, dort tête-bêche avec elle. Et ce vendredi 17 juin 1904, le cœur de Molly fait boum précisément entre deux et cinq heures du matin. Insomnie, flux labyrinthiques de la conscience.



Anouk Grinberg, "Molly Bloom" © Pascal Victor/Artcomart.
Anouk Grinberg, "Molly Bloom" © Pascal Victor/Artcomart.
Dans le relâché de la nuit, les bribes de la vie de Molly se relient librement et la pudeur du corps et des mots ne sont plus celle du code social mais bien de la vérité des sentiments. Et Molly qui tire le diable par la queue depuis toujours a son moment de gloire, son apothéose.

Le monologue de Molly qui clôt le roman de James Joyce, "Ulysse", est aussi un poème qu’il est donné au spectateur d’appréhender sur scène grâce à Anouk Grinberg.

Le texte de Joyce est magistral dans sa manière. C’est un modèle d’une écriture quasi pure. Visuellement illisible par son absence de ponctuation, elle est dans la vérité de son texte parfaitement calée sur les groupes de souffle et le contenu de son propos. Véritable défi à la parole, elle cristallise, dans la fugacité de leurs apparitions, les points de la conscience, ses obsessions, ses divagations, ses lucidités et rend sensible les contractions et dilatations du temps propres aux heures blanches des rêve éveillés.

Anouk Grinberg, "Molly Bloom" © Pascal Victor/Artcomart.
Anouk Grinberg, "Molly Bloom" © Pascal Victor/Artcomart.
L’interprétation d’Anouk Grinberg épouse tous les détours et les porte à un haut degré d’intensité : là où le corps et les mots sont en harmonie et en tension. De l’intimité presque inaudible à l’exaltation fiévreuse, la comédienne met en œuvre le songe d’une femme concrète, sensible, à la gouaille toute populaire et la hargne tenace. Sens satisfaits, Molly en toute candeur est réjouie et inquiète tout à la fois.

Molly a le sens de la beauté et de la poésie.

Dans le public, les femmes et les hommes s’approprient le propos : les unes rient à l’évocation des engeances des bonshommes, les uns sourient d’aise devant cette petite bonne femme qui conserve ses rêves de jeunesse. De la profondeur à la surface des choses dans l’aller et le retour de l’un vers l’autre, le spectateur perçoit l’élasticité du monde.

Quand Molly s’extirpe d’une méchante nuit, pique un petit bourrichon et s’endort de bonheur. En devenir de lendemain.

"Molly Bloom"

Anouk Grinberg, "Molly Bloom" © Pascal Victor/Artcomart.
Anouk Grinberg, "Molly Bloom" © Pascal Victor/Artcomart.
D’après le dernier chapitre de "Ulysse" de James Joyce.
Traduction : Tiphaine Samoyault.
Adaptation : Jean Torrent.
Avec : Anouk Grinberg.
Et la participation de : Antoine Régent.
Avec la complicité de : Blandine Masson et Marc Paquien.
Lumières : Dominique Bruguière.
Costumes : Isabelle Deffin.
Son : Xavier Jacquot.
Perruque : Cécile Kretschmar.
Durée 1 h 15.

Du 30 novembre au 15 décembre 2012.
Du Mardi au samedi à 21 h.
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10, 01 46 07 34 50.
>> bouffesdunord.com

Jean Grapin
Vendredi 7 Décembre 2012

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023