La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
CédéDévédé

Liszt, Schumann et Schönberg par Le Trio Karénine

Le dernier opus du Trio Karénine nous fait découvrir trois transcriptions rares de la "Vallée d'Obermann", des "Six Pièces en forme de canon" et de "La Nuit transfigurée" pour le violon, le violoncelle et le piano. Force est de constater que le pari est réussi et le voyage proposé passionnant dans l'aire romantique germanique de la seconde partie du XIXe siècle.



Le pari des Karénine dans cet enregistrement, c'est de nous proposer des transcriptions d'œuvres iconiques (Liszt, Schönberg) ou pas, réalisées par le compositeur ou un de ses disciples - et non le répertoire habituel du trio. Un exercice peut-être particulièrement difficile pour "La Nuit transfigurée" composée pour un sextuor. Crainte légitime : n'y aurait-il pas déperdition d'ampleur, de lyrisme, de force avec la réduction à trois instruments. À l'écoute de cet enregistrement, toute crainte s'envole. Ces transcriptions apparaissent pour ce qu'elles sont : des œuvres à part entière et ce, grâce aux compositeurs mais aussi au grand métier des musiciens.

Le programme s'ouvre sur la transcription de la sixième pièce du premier recueil (consacré à la "Suisse") du cycle des "Années de pèlerinage" de Franz Liszt. Cette "Vallée d'Obermann" dans le cycle originel, décrivant les états d'âme du héros de l'autobiographie romancée de Senancour, est composée en 1835 alors que Liszt est en Suisse avec Marie d'Agoult. Trente ans plus tard, Liszt la retranscrit pour le trio en la renommant (c'est désormais "Tristia") et en opérant quelques modifications. Il écrit une nouvelle introduction "Lento" et développe de nouvelles lignes mélodiques solo.

Paloma Kouider (piano), Fanny Robilliard (violon) et Louis Rodde (violoncelle) nous happent dès l'abord (et pendant les quinze minutes) d'un dialogue d'une grande éloquence. Ils cisèlent un discours profondément élégiaque faisant honneur au langage lisztien, propre "à exprimer tout ce qui en nous, franchit les horizons accoutumés" - tel que l'exprime lui-même le compositeur, attaché toute sa vie à une exigeante quête de l'Absolu. Cette union fiévreuse et inquiète de l'âme et du monde, qu'interprètent parfaitement nos artistes, se retrouvera dans la superbe nuit schönbergienne.

Plus rares, ces "Six Pièces canoniques" opus 56 de Robert Schumann composées à l'origine pour le piano-pédalier à Leipzig en 1845. Le compositeur, déjà instable et en proie aux angoisses, se réfugie dans l'œuvre du Maître. Retrempant son âme dans la fréquentation du génie du contrepoint, il livre ces "Six Pièces en forme de canon". C'est tantôt un pur hommage (écoutez la brève première partie ou l'"Adagio" de la sixième), et tantôt un accord de la manière du Kantor à son chant intérieur - comme le souligne souvent la partition, par exemple cette deuxième pièce "Mit innigen Ausdruck" toute irriguée de l'âme schumanienne. C'est le compositeur et organiste allemand Theodor Kirchner qui en livre une belle transcription qu'exalte le beau tempérament de notre Trio. On savoure pleinement la grande expressivité des chants et contrechants des trois voix, chacune ne se donnant jamais le beau rôle au détriment des autres.

Plus téméraire sur le papier, le CD offre comme pièce de choix "La Nuit transfigurée" dans l'audacieuse transcription d'Eduard Steuermann (un des créateurs du "Pierrot lunaire"). En lieu et place des deux violons, deux altos et deux violoncelles du sextuor originel, la formation violon, violoncelle, piano ne risque-t-elle pas d'affaiblir ce vrai poème quasi symphonique ? Il n'en est rien. Le Trio Karénine parvient brillamment à servir ce langage musical conçu par Schönberg pour dire l'inexprimable en outrepassant le verbe (en l'occurrence le poème de R. Dehmel). La complexité luxuriante du principe de la variation développante (théorisé par Carl Dahlhaus) ne perd rien ici. Les voix des trois instruments tissent avec une belle intensité une superbe texture aux denses réseaux motiviques, aux coloris subtiles dans les cinq parties de ce dialogue entre l'Homme et la Femme. La beauté bouleversante déployée par leur chant nous offre une conversation de toute beauté. Chapeau les Karénine !

Cette "Nuit transfigurée" sera donnée dans un concert au programme éclectique par le Trio Karénine le 15 mars en direct depuis la Salle Cortot et accessible sur le site Recit Hall.

Concert le 15 mars à 19 h sur >> recithall.com
Durée : 1 h 15, 10 euros.

● Trio Karénine "La Nuit transfigurée".
Paloma Kouider, Fanny Robilliard, Louis Rodde.
Label : Mirare.
Distribution : Pias France.
Sortie : 19 février 2021.

>> triokarenine.com

Christine Ducq
Mardi 9 Mars 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024