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Théâtre

"Les gestes d'après", du théâtre poétique fort et bouleversant

Après avoir porté les textes de Svetlana Alexievitch dans "Valentina-Tchernobyl", les mots de Brigitte Barbier dans "Là où tu es", ceux de Chariff Ghattas, de Maïa Brami et d'autres auteurs encore, Coralie Émilion-Languille s'empare cette fois de textes qu'elle a elle-même écrits. Exercice encore plus exigeant que celui d'incarner des personnages extérieurs à soi, que celui de donner à entendre et à voir ses propres mots écrits dans l'intime solitude de la pensée.



© Julien Barrillet.
© Julien Barrillet.
Les textes des "gestes d'après" sont d'abord une écriture poétique, ancrée, originale, rythmée. Leurs constructions, leurs scansions s'accordent totalement à l'oralité. Ils respirent. Ils offrent des silences, des pauses, des suspensions. Ils sont d'une forme qui ne dit pas tout, loin, si loin de tout ce qui peut être explicatif ou objectif. Ils sont images qui mêlent et surtout démêlent souvenirs entre lesquels il va falloir marcher et explorer des sensations nouvelles.

"Les gestes d'après" racontent une renaissance, peut-être même une naissance. Longtemps, des années, des dizaines d'années après la violence d'une enfance meurtrie, c'est le temps infini qu'il faut pour panser les blessures et pour se penser autrement que victime d'une injustice extrême et soudain voir. Voir tout. Voir le passé, oui, mais essentiellement voir le monde, la vie, le présent, le futur. Oui, il s'agit d'une naissance au monde et aux ressentis, avec tout ce que cela suppose d'exaltation, de curiosité, de confiance.

© Julien Barrillet.
© Julien Barrillet.
Au fil des textes, ce sont les autres d'abord qui revivent, s'exaltent, retrouvent, au travers les mots et les regards de Coralie Émilion-Languille, une innocence qui les relie à la nature, les arbres, la sève, la lumière. Puis, c'est elle-même, la narratrice, celle qui nous emmène mot à mot dans ce chemin de découverte, menée par sa propre main amie à travers la pièce, c'est elle-même qui sort d'une chrysalide prison et découvre l'émotion, la vie, la jouissance. Son corps innove le plaisir, ses sens osent, ses paroles s'offrent le don, le bon, le délicieux, elle se libère.

Les métaphores de la nature sont autant de couleurs et de sens qui servent la langue de ce texte. Un texte richement entrecoupé de phrases du quotidien, car c'est ce quotidien, l'existence, le bonheur tout simplement qui sont ici découverts, merveilleux, illumination. Le phrasé de l'autrice et de la comédienne est rythme, il avance et laisse vivre des éclats de silences. À quelques moments précis, quelques notes de musique se combinent aux mots, aux gestes de la comédienne qu'une fierté de vivre peu à peu couronne.

Quelque chose apaise, mais le souffle se retient comme lorsque l'on assiste au parcours d'une fildefériste. Car cette naissance reste fragile, même si elle est révélation et joie. La nature s'invite dans ce chemin non seulement comme image, mais comme recours au vrai, au juste. Le texte construit ainsi une sorte de vivarium géant où peuvent vivre les êtres en paix, loin des nuisibles, près du bonheur. Et c'est ceci, le surprenant : nulle aigreur, nulle amertume pour toutes ces années saccagées par le souvenir de cette violence subie, mais, comme le tournesol s'oriente toujours vers le soleil levant, ce bonheur à vivre, revivre, renaître et naître.
◙ Bruno Fougniès

"Les gestes d'après"

© Julien Barrillet.
© Julien Barrillet.
Texte : Coralie Émilion-Languille.
Adaptation du livre éponyme de Coralie Émilion-Languille sorti en décembre 2023 aux Éditions Unicité.
Mise en scène : Coralie Émilion-Languille et Benjamin Georjon.
Avec : Coralie Émilion-Languille.
Création sonore : Arnaud Vernet-Le Naun.
Costume et masque : Gwendoline Grandjean.
Lumière : Gaspard Gauthier.
Régisseur : Julien Barrillet.
Regard chorégraphique : Mathias Dou.
Scénographie : Laure Montagné.
Collaboration artistique : Coraline Lamaison.
Ainsi que les regards précieux d'Anne Consigny et Lo Martin Wilder.
À partir de 12 ans.
Durée 1h.

Du 2 au 6 octobre 2024.
Du mercredi au samedi à 21 h, dimanche à 17 h.
Lavoir Moderne Parisien, Paris 18e, 01 46 06 08 05.
>> lavoirmoderneparisien.com

Bruno Fougniès
Mardi 10 Septembre 2024

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"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
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Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

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© Pierre Gondard.
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© DR.
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Bruno Fougniès
13/12/2024