La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Le Réformateur" : Une réflexion terrifiante sur la nature humaine, à la fois drôle et dramatique

"Le Réformateur", Théâtre de l'Œuvre, Paris

Reclus du monde qu'il exècre, rivé à son fauteuil Voltaire, dernier refuge devant l'incompréhension qui l'assaille, en danger d'hypocondrie, l'homme qui a rédigé le "traité de réforme du monde", "le réformateur" vit au rythme monotone d'un quotidien toujours identique.



© Dunnara Meas.
© Dunnara Meas.
Et dans l'usage des heures, il tisse à voix haute comme un filet à remonter à la surface les humiliations qu'il a subies. Il fulmine, rêve une cérémonie qui serait apothéose et reconnaissance de son génie, répète les gestes de sa consécration et son discours, attend sa récompense, son diplôme. Tance et rudoie la femme, sa compagne, servante, compatissante et aimante. Il attend son plat de nouilles. Et la médiocrité, en valeur absolue, lui revient, telle une tarte à la crème, dans la figure. Vanité de vanité. Le monde comme sa volonté et sa représentation achoppe.

La pièce de Thomas Bernhard, dans son écriture, joue avec la fiction et la réalité. Le spectateur assiste en direct au travail d'une conscience agitée, amère, exaltée qui ressasse jusqu'à la sénilité la scène primitive d'une blessure d'amour-propre non guérie.

Dans une stricte unité de lieu, André Engel remonte le temps (en toute discrétion et vraisemblance scéniques) jusqu'au point origine qui est aussi le point d'aboutissement du drame. Il le rend tangible au temps présent par une convention simple. Le réformateur, s'apprête progressivement en habit de cour du XVIIIe siècle. Face à l'habit noir d'universitaires emperruqués qu'il affronte à la toute fin de la pièce dans un choc d'images et de pertinence, laissant le spectateur juge des convenances, des conformismes et des conservatismes. En œuvre dans le texte de Thomas Bernhard, le rêve d'un monde éclairé par les Lumières illumine le plateau.

© Richard Schroeder.
© Richard Schroeder.
Serge Merlin reprend le rôle créé en 1991. Avec sa juvénilité intacte et l'épaisseur de plus de soixante ans de métier, il est à la fête et le public avec lui.

Les comédiens n'apportent aucune fausse note, se lovent dans la convention. Serge Merlin se faufile de registres en registres, tel un furet, entre les fils du texte. Tout en auto-ironie, quasi voltairien, le jeu, en décalage perpétuel avec l'unité de lieu, prend l'allure d'une farce subtile, prend la forme d'une fugue. La représentation est à la fois drôle et dramatique. À la réflexion terrifiante pour ce qui concerne la nature humaine.

Quasi silencieuse, Ruth Orthmann qui joue la femme a une présence intense et active offrant à l'exubérance de Serge Merlin comme un contrepoint musical remarquable de concision et de précision.

Le spectateur réjoui par cette oscillation qui obvie au ridicule ou à l'arrogance de la gloire et apporte au contraire intimité complice, sent planer les ombres humanistes de Voltaire, de Rousseau et de Kant devenus, par ce miracle du théâtre, familiers tout autant que Thomas Bernhard.

"Le Réformateur"

© Dunnara Meas.
© Dunnara Meas.
Texte : Thomas Bernhard.
Mise en scène : André Engel.
Assistante à la mise en scène : Ruth Orthmann.
Avec : Serge Merlin, Ruth Orthmann, Gilles Kneusé.
Décors : Nicky Rieti.
Costumes : Chantal de la Coste.
Lumières : André Diot.
Son : Pipo Gomes.
Coiffure : Marie Luiset.

Du 8 septembre au 11 octobre 2015.
Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 15 h.
Théâtre de l'Œuvre, Paris 9e, 01 44 53 88 88.
>> theatredeloeuvre.fr

Jean Grapin
Mercredi 16 Septembre 2015

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024