La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Le Masque de Fer et le mousquetaire" Une interprétation magistralement fine mettant en lumière l'énigme historique du Masque de Fer

Paris, 1708. Saint-Mars, ancien mousquetaire et geôlier de la Bastille, est interrogé par un jeune journaliste de la "Gazette d'Amsterdam", M. Linget, qui, comme tout le monde, veut connaître le secret du Masque de Fer… Saint-Mars va d'abord lui raconter sa vie, et ce, sous la forme d'une confession durant laquelle nous allons revivre avec lui toutes ses aventures… jusqu'à découvrir la vérité au sujet de ce prisonnier si particulier !



© Paul Wagner.
© Paul Wagner.
Le théâtre fait-il toujours "histoire obligatoirement nécessaire" ? Et l'Histoire, peut-elle incontestablement constituer un acte théâtral majeur ? Vaste question à laquelle nous n'aurons pas la prétention de donner, ici, ne serait-ce qu'un semblant d'argumentaire. Cela dit, cette nouvelle pièce, écrite par Donat Guibert, pourrait conforter, par l'affirmative, un début de réponse.

En effet, l'Histoire possède de nombreuses ressources pouvant engendrer la création théâtrale, surtout lorsqu'il s'agit de la fameuse légende du Masque de Fer ! Féru d'Histoire, Donat Guibert a déjà écrit pour la scène "Louis XIV, Philippe d'Orléans ou les adieux fraternels", "La Vieille fille et le libertin ou les amours de Lauzun et de la Grande Mademoiselle, et "Le Plaidoyer de Louise Bourgeois, accoucheuse de la Reine". Avec la complicité d'Alain Veniger, comédien et metteur en scène, c'est à la légende historique du Masque de fer qu'il s'attaque cette fois-ci.

"Ignorant la véritable histoire de Saint-Mars, lorsque j'ai lu ce texte pour la première fois, j'ai été saisi par l'ambivalence de ce personnage, loyal envers le Roi, cruel envers ses détenus, et d'une rouerie absolue envers ses contemporains, tels Colbert et Louvois", indique Alain Veniger.
L'écriture de la pièce alterne entre évocation d'un drame personnel et intrigue historique, l'ensemble étant très subtilement agencé. Qui plus est, interprétée par le jeu du comédien, avec une réelle élégance.

© Paul Wagner.
© Paul Wagner.
Donat Guibert incarne en effet ce personnage de Saint-Mars avec maestria, allant jusqu'à nous donner l'illusion de "voir" sur scène ce soi-disant journaliste venu l'interroger. Son jeu est élégamment sobre, aucun surjeu inutile qui dénaturerait l'impact du propos. Juste le texte, limpide et très captivant, et un charisme digne des plus grands comédiens. Quelque chose de Gérard Philippe, par moments, émane de son personnage.

Mais, au fait, qui était au juste ce Bénigne Dauvergne de Saint-Mars, mousquetaire bien moins connu que les trois autres plus célèbres, Athos, Portos et Aramis, tout droit sortis, quant à eux, par contre, de l'imagination d'Alexandre Dumas ?

Maréchal des logis des Mousquetaires, il a secondé d'Artagnan en 1669 pour l'arrestation de Fouquet, puis est nommé gouverneur de la prison de Pignerol. En 1687, selon une gazette manuscrite janséniste, il aurait conduit par "ordre du Roi", au fort de Sainte-Marguerite, un prisonnier d'État dont personne ne sait de qui il s'agit ; défense de dire son nom ! Dès lors, le sort de Saint-Mars sera étroitement lié au séjour de ce mystérieux prisonnier !

C'est Saint-Mars, en chair et en os, que nous découvrons sur scène grâce à l'incarnation de Donat Guibert, si sensible et dépourvue de tout sensationnel.

Le dialogue des questions réponses entre le journaliste et Saint-Mars est fluide et, au risque de nous répéter, constitue pour le public un grand moment de théâtre. Courez au Guichet-Montparnasse mener l'enquête du Masque de Fer et découvrir le portrait de ce mousquetaire dont personne ne se souvient, "arriviste, menteur, zélé, mythomane et cruel envers ses détenus. Pourquoi a-t-il voulu créer cette grande supercherie et ainsi tromper ses contemporains ? Un soldat à la dérive qui a transformé la médiocrité de son existence en une aventure étrange, digne des récits les plus romanesques", Donat Guibert.
◙ Brigitte Corrigou

"Le Masque de Fer et le mousquetaire, ou le secret de Saint-Mars"

D'après Voltaire, Dumas, J.-C. Petitfils.
Texte : Donat Guibert.
Mise en scène : Alain Veniger et Donat Guibert.
Avec : Donat Guibert.
Création masque : Antony Saint-Aubin.
Production : Compagnie Le Théâtre Diversion.
Durée : 1 h 15.

Du 21 février au 6 avril 2025.
Vendredi et samedi à 20 h 30, dimanche à 16 h 30.
Le Guichet-Montparnasse, Paris 14ᵉ, 01 43 27 88 61.
>> guichetmontparnasse.com

Brigitte Corrigou
Vendredi 14 Février 2025

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024