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Théâtre

"Le Journal intime d'Adam et Eve" Homme Femme… éternellement uniques et définitivement particuliers

Dans cette pièce-pamphlet américaine très étonnante inspirée de la Bible, Mark Twain parle des relations hommes-femmes, l'auteur étant passionné par l'humanité, laquelle est au centre de toute son œuvre. Il s'agit d'un texte subtilement féministe qui dénonce à la fois les relations entre hommes et femmes et le patriarcat, mais qui parle aussi de nous. Et pourtant, nous sommes respectivement en 1893 puis en 1905, au tournant des XIXe et XXe siècles, car les deux journaux ont été écrits à douze ans d'intervalle.



© Mel Butterfly.
© Mel Butterfly.
L'auteur y revisite les chapitres les plus connus de la Genèse avec une grande dérision et un humour subtile… et c'est délicieusement jouissif à plusieurs égards. D'un côté, Adam, célibataire, jouit en hédoniste du jardin d'Éden dans lequel il vit. De l'autre, Ève débarque avec ses mots nouveaux, son esprit aventurier et sa soif d'expérimentation en tous genres. Pas certain qu'entre ces deux-là les choses soient limpides.

C'est une histoire intemporelle qui raconte la rencontre des deux premiers êtres humains de la Terre, la découverte des animaux, l'amour, leur premier enfant. C'est une impression de coton très doux ou de velours encore plus soyeux qui se dégage à l'écoute de ce texte incroyable, adapté ici par Mario Aguirre et interprété par Carlotta Urioste et Julien Grisole.

L'écriture de Mark Twain est limpide et élégante, presque naïve, très touchante. Cela pourrait être paradoxal étant donné les origines primitives des deux personnages en question. À la frontière de l'écriture parlée, l'auteur jongle sans cesse entre des considérations profondes et un humour affiché qui font de cette histoire courte un moment de théâtre irrésistible.

"Je crois que c'est un homme. Je n'en avais jamais vu, mais ça y ressemblait fort, et je suis sûre de ne pas me tromper. Il pique ma curiosité bien plus que n'importe quel autre reptile. Il n'a pas de hanche, c'est taillé en pointe, on dirait une carotte. Et quand ça se redresse, on dirait un derrick".

"La nouvelle créature avec ses cheveux longs est toujours fourrée dans mes pattes. Si seulement elle voulait rester avec les autres animaux…"

© Mel Butterfly.
© Mel Butterfly.
La candeur et la naïveté des deux personnages sont très émouvantes dans leur découverte du monde et le spectateur sourit bien souvent autour du décalage qui les oppose. Des thèmes plutôt récurrents y sont abordés comme autrui, le monde, le pardon, le sexe, le langage, le mystère de la vie. Mais à aucun moment on ne s'ennuie. Bien au contraire. Mario Aguirre a su trouver le juste équilibre entre le texte de Mark Twain et la dramaturgie. La scène est sobre. Les comédiens habillés de telle sorte que l'action nous transporte dans une époque intemporelle. Et si l'action repose essentiellement sur le dire, à aucun moment celui-ci n'étouffe le jeu des comédiens qui se laisse aller à une grande force d'interprétation souvent sensuelle et très touchante.

En écrivant chacun séparément leur journal intime durant la représentation, ils nous offrent une interprétation sensible et tout en complicité. L'ensemble est très agréablement mis en scène par Mario Aguirre qui a su répartir la parole des deux comédiens de façon équilibrée sans leur réclamer d'artifices inutiles dans leur gestuelle ni dans leur jeu. Carlotta Urioste avec son charmant petit accent bolivien et Julien Grisole en homme "parfait" dans sa dimension masculine incarnent tous deux avec une grande élégance cet Homme et cette Femme éternellement uniques et définitivement particuliers.

Interrogeons-nous sur le fait que ce texte remarquable de Mark Twain ne soit pas enseigné davantage à l'école, car il s'agit là d'un petit bijou d'émotions et de réflexions profondes sur les éternels rapports homme-femme.

Merci à la Compagnie Spirale de l'avoir adapté et si vous êtes au festival d'Avignon en ce moment, ne ratez pas ce spectacle.

"Le Journal intime d'Adam et Eve"

Texte : Mark Twain.
Mise en scène : Mario Aguirre.
Avec : Carola Urioste, Julien Grisol.
Par la Cie Family Francis Grisol.
À partir de 12 ans.
Durée : 1 h.

Du 10 février au 17 mars 2023.
Vendredi à 19 h et dimanche 12 février à 16 h.
Laurette Théâtre, Paris 10e, 09 84 14 12 12.
>> laurette-theatre.fr

Brigitte Corrigou
Mardi 7 Février 2023

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Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
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© Pierre Gondard.
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© DR.
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