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Théâtre

"Le Courage de ma mère" Une petite polyphonie concertante laissant entendre la voix de l’intime

Il est un vieil adage selon lequel la réalité dépasse la fiction. Et quelquefois cette réalité est tellement puissante qu’elle peut même défier l’entendement. Et, dans un retournement ironique, tout récit se heurtant à l’indicible et au vraisemblable prend des allures d'imaginaire. Des faits incontestables peuvent en effet par leur ampleur entraîner des réflexes de dénégation. Qu'il faut savoir contre battre.



© Karine Letellier.
© Karine Letellier.
Ainsi dans "Le Courage de ma mère", pour évoquer la mémoire de sa mère juive déportée et rescapée des camps d'extermination, l’auteur George Tabori joue-t-il, brillamment, avec une forme de doute sur la réalité qui jouxte le merveilleux et l'absurde.

Dans une forme d’épopée picaresque où l’humour prend toute sa part, il choisit de suivre par le menu les péripéties du personnage emblématique de sa mère juive. Celle-ci, naïve absolument, traverse comme "mère courage"* les tragédies. Toute puissante en toute innocence. Elle est sauvée par cette innocence même, échappe à la mort par miracle. Graciée par un officier. Boucher devenu végétarien… Comme en un coup de théâtre du destin, le conte s'avère farceur et au final plutôt inquiétant dans ses conséquences pour la miraculée.

Cela a la force d'une parole d’évangile ("beati pauperes spiritu") et, en même temps, celle d'un conte de ces fantômes qui prennent possession des vivants.

© Karine Letellier.
© Karine Letellier.
À l'indicible est opposé une forme inénarrable d'un humour noir radieux.

"Le Courage de ma mère" est mis en scène par David Ajchenbaum et joué par Roland Timsit. Seul en scène, conteur écartelé entre plusieurs points vocaux (micros et vieux magnéto à bande), le comédien donne la petite polyphonie concertante de tous les personnages de l’épopée et affirme une vérité scénique, laissant entendre la voix de l’intime. Favorisant l’écoute. "Le Courage de ma mère" a la prégnance et le goût d’une pièce radiophonique.

Le spectateur, qui intériorise la situation, frémit des dangers et porté par cette inclination naturelle de voir l’innocent sauvé et le méchant puni, applaudit ce petit miracle théâtral. Le rire est salvateur.

* Personnage de Grimmelshausen très célèbre en Allemagne repris par Brecht.

"Le Courage de ma mère"

© Karine Letellier.
© Karine Letellier.
Texte : George Tabori.
Texte publié aux Éditions Théâtrales, traduit par Maurice Taszman.
Mise en scène : David Ajchenbaum.
Assistante à la mise en scène : Déborah Földes.
Avec : Roland Timsit.
Avec la voix de Marion Loran.
Son : Nicolas Martz.
Lumières et scénographie : Esteban (Stéphane Loirat).
Production Compagnie Calvero.
Co-production : Les 3 pieds dans la même chaussure.
Tout public à partir de 13 ans.
Durée : 1h 15.

Du 9 mars au 16 avril 2022.
Du mercredi au samedi à 19 h.
Théâtre La Reine Blanche - Scène des Arts et des Sciences, Paris 18e,
01 40 05 06 96.
>> reineblanche.com

Rencontres à 20 h 15
Le 16 mars avec Anita Lenglet.
Le 19 mars avec Rony Brauman.
Le 26 mars avec Dominique Vidal.


Jean Grapin
Mercredi 9 Mars 2022

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