La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Le Conte des Contes" Entrez, mesdames, messieurs, entrez ici pour en prendre plein les mirettes, plein les oreilles et plein le cœur !

Le maître de cérémonie a le visage fardé de blanc, veste blanche, cheveux gominés. Il est svelte comme un chat. Il arpente la scène dans son rond de lumière et ouvre, avec malice et un sens aigu de l'ironie sans fard (elle), les portes d'un univers à la fois baroque, lumineux, obscur, réel et féérique. C'est dans la terre fertile de contes populaires italiens qu'Omar Porras et le Teatro Malandro ont puisé les germes de cette poussée de rires et d'émotions qu'est "Le Conte des Contes".



© LaureN Pasche.
© LaureN Pasche.
À l'origine de ce projet longuement mûri, rêvé, caressé par le metteur en scène, était le texte de Giambattista Basile, "Lo Cunto de li cunti" (publié entre 1634 et 1636), écrit en dialecte napolitain. Un récit également connu sous le nom de "Pentamerone" puisqu'il s'articule autour de dix conteuses racontant chacune cinq contes durant cinq jours (un pendant merveilleux au "Decameron" de Boccace). À partir de ce gros recueil, Omar Porras invente une construction dramatique centrée sur une famille et une forme scénique qui se présente comme un cabaret. Un de ces cabarets mythiques dans lesquels surgissent à parts égales monstruosité, beauté, érotisme et burlesque.

Et musiques, danses, paillettes, plumes et corps sont là mais le spectacle est très éloigné d'une vitrine froide rutilante de brillants et de strass. Car ces contes, inspirés de fables recueillies à Naples, en Toscane, en Sicile et à Venise dans les tavernes et les rues de l'Italie du XVIIe siècle, ont tous la saveur cruelle et sanglante de la verve populaire. Prenant cette truculence à bras le corps, Omar Porras et sa troupe de comédiens, chanteurs, musiciens inscrivent ces différentes histoires dans la chair de personnages façonnés avec soin.

© LaureN Pasche.
© LaureN Pasche.
Osant la caricature extrême parfois, jouant des physiques et des déplacements dans une rigueur mathématique, arborant des maquillages et des costumes éclatants, entre réalisme et excentricité, les sept interprètes, comme des semeurs de féérie, courent tout au long du spectacle à travers différents contes dont certains résonnent à nos oreilles comme des refrains.

Le "Pentamerone" recèle en effet une grande partie des contes qui, plus tard, inspireront Perrault, les frères Grimm, Alan Poe, Irving et bien d'autres. Mais ici, pas de douceurs, de sucreries, de tiédeur. La force de la farce populaire pulse sans cesse sous l'apparence scintillante du cabaret.

Il faut parler ici de la partition musicale de Christophe Fossemalle. Créée de bout en bout, tableau après tableau, alternant toutes sortes de styles, de musiques, de chansons, celle-ci est partie intégrante du spectacle, ainsi que la bande-son qui ouvre des espaces oniriques surprenants. Quant à la mise en scène d'Omar Porras (associée à sa direction d'acteurs), elle provoque un rythme effréné qui joue des emballements et de temps de reflux avec art, si bien que le spectacle semble ne durer qu'un instant.

© LaureN Pasche.
© LaureN Pasche.
L'adaptation est fine, suffisamment réactualisée pour donner un visage contemporain à ces contes et aux thèmes qui les traversent. L'émotion, elle, parfois portée par un passage de texte, parfois par un air, un accompagnement au piano, parfois par un geste, une chorégraphie, fait basculer les cœurs, tandis que l'ironie qui diffuse son impertinence du début à la fin, provoque l'hilarité.

On aurait envie de parler de cocktail réussi, mais l'image est faible en comparaison du feu d'artifice que les sept interprètes de ce "Conte des Contes" émettent de toutes leurs voix, de tous leurs gestes, de toutes leurs incroyables énergies et de leur magnifique précision.

"Le Conte des Contes"

© LaureN Pasche.
© LaureN Pasche.
D'après "Lo Cunto de li cunti" de Giambattista Basile.
Adaptation et traduction : Marco Sabbatini et Omar Porras.
Conception et mise en scène : Omar Porras (Teatro Malandro).
Assistante à la mise en scène : Capucine Maillard.
Avec : Simon Bonvin, Jonathan Diggelmann, Philippe Gouin, Mirabelle Gremaud, Jeanne Pasquier, Cyril Romoli, Audrey Saad.
Chorégraphie : Erik Othelius Pehau-Sorensen.
Scénographie : Amélie Kiritzé-Topor.
Composition, arrangements et direction musicale : Christophe Fossemalle.
Costumes : Bruno Fatalot, assisté de Domitile Guinchard.
Couture et habillage : Karine Dubois et Julie Raonison.
Stagiaire couture : Margaux Bapst.
Accessoires et effets spéciaux : Laurent Boulanger, assisté de Lucia Sulliger.
Tapissier : Yvan Schlatter.
Stagiaire accessoires : Viviane Mentha.
Maquillages et perruques : Véronique Soulier-Nguyen, assistée de Léa Arraez.
Régie générale : Gabriel Sklenar.

© LaureN Pasche.
© LaureN Pasche.
Création sonore : Emmanuel Nappey.
Co-création lumière : Benoit Fenayon et Marc-Étienne Despland.
Régie son : Benjamin Tixhon et Roméo Bonvin.
Régie lumière : Marc-Étienne Despland et Laurent Magnin.
Construction du décor : Christophe Reichel, Alexandre Genoud, Chingo Bensong et Noé Stehlé.
Peinture : Béatrice Lipp et Martine Cherix.
Apprentis techniciens de scène : Léo Bachmann et Arno Fossati.
Production et production déléguée : TKM Théâtre Kléber-Méleau, Renens.
Coproduction : Théâtre de Carouge.
Avec le soutien de : Pour-cent culturel Migros, Fondation Champoud.
La chanson "Angel" a été composée par Philippe Gouin (Fabiana Medina/Philippe Gouin).
Durée : 1 h 30.
À partir de 12 ans.

A été représenté les 15 et 16 décembre 2021 dans la Grande Salle de Château Rouge - Scène conventionnée, Annemasse (74).

Du 1er au 20 mars 2022.
Mardi, mercredi et samedi à 19 h, jeudi et vendredi à 20 h, dimanche à 17 h 30.
TKM Théâtre Kléber-Méleau, Chemin de l'Usine à Gaz, Renens-Malley, Suisse.

>> Théâtre Malandro

Bruno Fougniès
Vendredi 24 Décembre 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024