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Théâtre

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".



© Jean-François Delon.
© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

© Jean-François Delon.
© Jean-François Delon.
Quelle merveilleuse idée que d'avoir décidé d'adapter à la scène cette nouvelle d'Honoré de Balzac. Encore fallait-il trouver le comédien ou la comédienne qui serait à même de l'interpréter. Car Catherine Aymerie incarne tous les personnages, qui plus est des hommes en majeure partie. Dès les premiers instants de la représentation, le spectateur est immergé dans l'histoire auprès d'un jeune peintre à ses débuts qui s'avérera plus tard être Nicolas Poussin lui-même, d'un vieil homme nommé Porbus, portraitiste d'Henri IV, puis un peu plus tard d'un personnage imaginé par le romancier, Maître Frenhofer.

Dans son interprétation, la gestuelle de la comédienne, mise en valeur par une resplendissante redingote parme pailletée, relève presque de la magie. Elle captive et renforce avec une grande élégance le moindre propos de la nouvelle et les scande fort justement d'une voix posée et suave. On devine les heures de travail et de répétition pour atteindre une telle perfection ! Mais le talent de Catherine Aymerie n'est plus à prouver. Brosser ici son parcours à la fois cinématographique, télévisuel et théâtral serait bien trop long.

Contentons-nous d'évoquer ses adaptations théâtrales des "Femmes de Tchekhov" d'après les personnages féminins d'Anton Tchekhov, des "Fantômes et Mme Muir" de R.A. Dick ou encore son travail auprès de cinéastes et réalisateurs tels Denys de la Patelière, Joyce Buñuel, Charlotte Brandstorm. Jean-Luc Godard ou encore Charlotte Akerman.

La mise en scène de Michel Favart, sobre, mais infiniment juste et suffisante, sublime encore davantage le jeu de la comédienne et nous propose une vision hyperréaliste de cette bien jolie nouvelle de Balzac.

© Jean-François Delon.
© Jean-François Delon.
Les propos du romancier sont magnifiés et comme transcendés par l'ensemble dont on n'oubliera pas de souligner les effets de lumière et de musique peu nombreux, mais largement pertinents et suffisants, tel, par exemple, un rebondissant passage d'un orgue exalté. "Ah ! La beauté… C'est une chose difficile et sévère. Ce n'est que par la contrainte qu'on peut l'apprivoiser".
"Il n'y a pas de lignes dans la Nature. Il n'y a que des pleins et ce sont ces pleins qu'il faut apprendre à maîtriser".


Un fauteuil d'époque recouvert de velours bleu et un guéridon sur lequel repose une aiguière sont les seuls éléments de décors de cette mise en scène imaginée par Michel Favart. Nul besoin d'autres artifices tant, encore une fois et au risque de nous répéter, le talent d'interprétation de la comédienne est vertigineux. À un moment, elle enlève avec grande délicatesse, ses magnifiques gants en cuir noir pour représenter un des deux peintres retouchant une toile avec virtuosité et le spectateur imagine avec intensité les pinceaux et les couleurs se posant allègrement sur la toile.

Mais cette virtuosité, c'est Catherine Aymerie qui la maîtrise ici, dans ce seule en scène rendant par là-même un très bel hommage à cette célèbre nouvelle de Balzac qui allie intimement les thèmes de l'esthétique, de la mort, de l'érotisme et de l'Art en général. Bon nombre de philosophes et d'artistes s'en sont inspirés, y voyant là une source inépuisable de création et de réflexion.

Le chef-d'œuvre enfermé dans l'atelier de Frenhofer se découvrira-t-il aux yeux de Poussin et de Porbus tel qu'ils se l'imaginaient ? En tout cas, quant à nous, le chef-d'œuvre a été là sous nos yeux et nous ne pouvions imaginer une telle incarnation de ce roman dont nous pensions connaître toutes les interprétations pour l'avoir bien souvent étudié...
Un bravo sans mesure à Catherine Aymerie et Michel Favart pour ce remarquable moment de spectacle.

"Le Chef-d'œuvre Inconnu"

© Jean-François Delon.
© Jean-François Delon.
D'après la nouvelle d'Honoré de Balzac.
Adaptation théâtrale et jeu : Catherine Aymerie.
Mise en scène : Michel Favart.
Musique : Massimo Trasente.
Lumière: Kostas Asmanis.
Scénographie et costumes: Florence Evrard.
Par la Compagnie "Théâtre de la Rencontre" créée par Paula Brunet Sancho en 1984.
Durée : 70 minutes.

Du 27 mars au 27 juin 2023.
Lundi et mardi à 19 h 15, dimanche à 19 h 30.
Théâtre Essaïon, Paris 4e, 01 42 78 46 42.
>> essaion-theatre.com

Brigitte Corrigou
Vendredi 7 Avril 2023


1.Posté par Lenfant le 10/04/2023 20:42
Voila un commentaire qui donne envie !

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Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

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Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023