La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts & Lyrique

"La Traviata"… Un joli cocktail artistique de lyrisme !

L'un des opéras les plus joués au monde revient actuellement sur les planches des Bouffes du Nord. "La Traviata" de Verdi, mise en scène par Benjamin Lazar, nous montre des personnages à la fois graves et comiques, l'humour s'immisçant à de multiples reprises dans les tourments amoureux de la courtisane Violetta Valéry avec une orchestration qui apporte une touche scénique originale aux situations.



© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
C'est la troisième fois que Benjamin Lazar monte "La Traviata" ("La dévoyée"), et ce, toujours aux Bouffes du Nord. Après 2016, puis en 2017-2018, il récidive dans une version des plus épurées. C'est une Traviata complètement revisitée avec des coupures et une nouvelle approche dramaturgique. L'opéra fut composé par Giuseppe Verdi (1813-1901) sur un livret de son ami et collaborateur Francesco Maria Piave (1810-1876), d'après le roman d'Alexandre Dumas fils (1824-1895), "La Dame aux Camélias" (1848) et de son adaptation théâtrale (1852) que Verdi avait vue au théâtre du Vaudeville.

Bien que les premières représentations, à l'époque, furent des plus difficiles par une distribution peu coutumière du réalisme peu conventionnel de l'œuvre, il reste aujourd'hui l'un des opéras les plus connus et joués dans le monde.

La scénographie laisse découvrir un voile blanc translucide qui recouvre comédiennes et comédiens. Cela rigole, s'amuse, on se fait peur, on pousse des cris. Le démarrage est joyeux et festif, c'est le moment où la célèbre courtisane Violetta Valéry (Judith Chemla) donne une fête. "La Traviata", c'est une traversée de différentes humeurs et univers autant patriarcaux, familiaux qu'empreints de passions amoureuses.

© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
L'approche originale de Benjamin Lazar mêle opéra et théâtre, faisant alterner les dialogues et le lyrisme, les répliques et le chant. L'humour est un élément aussi des plus importants, donnant aux personnages de Violetta Valéry et Flora Bervoix (Élise Chauvin) une touche souvent légère et un tantinet délurée.

La soprano Judith Chemla plante, selon les tableaux, un personnage espiègle par lassitude, passablement triste, voire désespéré. La soprano Élise Chauvin est dans un rapport scénique avec un maintien à dessein souvent relâché et des accents un peu de "traînée" auréolés d'une certaine élégance aristocratique. De l'autre côté, le docteur, joué par Florent Baffi, est dans une posture faussement sérieuse.

Parmi d'autres, la scène comique entre Flora Bervoix et le docteur préparant quelques potions est dans un rapport antinomique des plus décalés dans leur situation de préparation laborantine. Le timbre de la voix du docteur est très marqué, grave et par ricochet comique, quand celle de l'amie de Violette est un peu délurée, aux tonalités aiguës et à l'allure extravagante.

© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
Ainsi, les voix fluettes, ironiques, mordantes, caustiques, posent un contrepoint aux scènes qui se jouent, quand les chants lyriques en sont une caisse de résonance. Quand les premières remontent le cours des événements comme le saumon son fleuve, les secondes se jettent dans l'embouchure de la mer pour la remplir. Nous sommes ainsi dans des flux et reflux vocaux qui leur donnent une place de choix dans sa double déclinaison antinomique. On bascule ainsi entre légèreté et gravité, entre comique et sérieux, entre passions et tourments.

L'orchestration reste assez dénudée, autour d'une violoncelliste (Myrtille Hetzel), d'une clarinettiste (Axelle Ciofolo de Peretti), d'un joueur de flûte traversière (Renaud Charles), d'un contrebassiste (Bruno Le Bris), d'un accordéoniste (Gabriel Levasseur), d'un joueur de trombone (Sébastien Llado), d'un corniste (Benjamin Locher) et d'une violoniste (Marie Salvat). Elle accompagne théâtralement, rarement musicalement tous ensemble, Violetta et d'Alfredo Germont (Damien Bigourdan) en incarnant, derrière leurs instruments, un soutien à ceux-ci, en vivant musicalement leurs états d'âme. Les musiciens deviennent ainsi comédiens et participent à la dramaturgie.

© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
Il y a de très beaux tableaux avec Myrtille Hetzel et Axelle Ciofolo de Peretti, accompagnés respectivement de leur violoncelle et de leur clarinette, qui longent le mur côté cour quand côté jardin, Marie Salvat avec son violon lance ses gammes. Le tout s'avance vers Violetta Valéry, située au centre, comme à la fois encerclée et libre de ses mouvements.

Ainsi, opéra, théâtre, humour et chants alternent. Les émotions sont posées musicalement. Ce qui fait corps avec "La Traviata", c'est ce sentiment scénique de solitude, ou plutôt d'esseulement des personnages. La conception de Benjamin Lazar, Florent Hubert et Judith Chemla ainsi que la mise en scène du même Benjamin Lazar humanisent dans un pré-carré intimiste les états d'âme de Violetta.

C'est fin, subtil, bien agencé, et pose un double cadre artistique, théâtral et d'opéra, qui se marie avec élégance.

"Traviata - Vous méritez un avenir meilleur"

© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
D'après "La Traviata" de Giuseppe Verdi.
Conception : Benjamin Lazar, Florent Hubert et Judith Chemla.
Mise en scène : Benjamin Lazar.
Assistante à la mise en scène : Juliette Séjourné.
Avec : Florent Baffi, Damien Bigourdan, Jérôme Billy, Renaud Charles, Élise Chauvin, Judith Chemla, Axelle Ciofolo de Peretti, Myrtille Hetzel, Bruno Le Bris, Gabriel Levasseur, Sébastien Llado, Benjamin Locher et Marie Salvat.
Arrangements et direction musicale : Florent Hubert et Paul Escobar.
Chef de chant : Alphonse Cemin.
Scénographie : Adeline Caron.
Assistants à la scénographie : Nicolas Brias et Fanny Commaret.
Costumes : Julia Brochier.
Lumières : Maël Iger.
Maquillages et coiffures : Mathilde Benmoussa
Durée : 2 h.

Du 12 septembre au 3 octobre 2023.
Du mardi au samedi à 20 h.
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, 01 46 07 34 50.
>> bouffesdunord.com

Safidin Alouache
Jeudi 28 Septembre 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024