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Festivals

Festival Trente Trente "Les prototypes du vivant" infiltrent les Beaux-Arts…

Lorsque carte blanche est donnée à huit groupes d'étudiants des Beaux-Arts (accompagnés chacun par un artiste) pour une exposition performative placée sous l'égide de commissaires expérimentés (Annabelle Chambon et Cédric Charron, deux danseurs de Jan Fabre, auxquels s'adjoint Émilie Houdent, experte en art de la performance) bénéficiant, en plus de leur expérience propre de performers avérés, d'un enthousiasme irradiant, on se dit que "les Arts vivants" ne sont pas qu'une antienne rebattue…



"Missabrevis" © Pierre Planchenault.
"Missabrevis" © Pierre Planchenault.
Au Café Pompier de l'annexe des Beaux-Arts, embarqué pour une odyssée contemporaine au long cours (plus d'une heure et demie), chaque groupe de spectateurs découvre huit propositions dont le processus créatif, amorcé trois mois auparavant, trouve ce soir-là sa réalisation tangible. Invité à traverser tour à tour huit espaces différents convoquant toutes les disciplines, ballotté par le tourbillon de ces impacts qui l'amène sans pause à arpenter des domaines "in-ouïs" ou "in-attendus", il en perd conscience pour naître à sa propre vision.

Projet certes tentaculaire, dont le fil d'Ariane - "Les prototypes du vivant" - offre une main courante susceptible d'éclairer ce labyrinthe foisonnant, évitant de perdre pied sans pour autant progresser en terrain stable… Mais comment pourrait-il en être autrement lorsque le sujet n'est rien moins que d'explorer à leur suite les épiphénomènes des métamorphoses de la nature humaine, percutée par l'intelligence artificielle, dans le but de créer un modèle d'approche du vivant inconnu annonçant un nouvel âge de l'anthropocène ?


"Blob"

"Blob" © Pierre Planchenault.
"Blob" © Pierre Planchenault.
"Blob" immerge dans un magma de matières telles celles qui peuplent les décharges où viennent échouer en fin de vie tous les objets manufacturés mis au rebut. Poupées de celluloïd amputées, vieilles carcasses de vélos privés de leurs roues et autres vestiges d'un univers de déjections en décomposition. Dans ce milieu placé sous le sceau du retour aux origines, se croissent des formes primitives, visqueuses pour certaines, propres à susciter l'attention des chercheurs, lesquels sondent à l'aide de lasers les mouvements respiratoires d'êtres proto-cellulaires. Fascinante plongée dans une installation intemporelle en devenir.

Avec : Johann Loiseau, Nathanaël Siefert, Nino Ram, Élise Simeonidis, Alice Vigier-Lévy.

"Vivre en Algo-rythme"

"Vivre en Algo-rythme" © Pierre Planchenault.
"Vivre en Algo-rythme" © Pierre Planchenault.
"Vivre en Algo-rythme" propose une expérience in vivo : quels liens entretenons-nous avec les données a(e)ncrées dans nos "chairs" (sic) téléphones portables, pouvons-nous nous en séparer sans ressentir un vide abyssal ? Le spectateur est invité à confier son clone algorithmique - installé dans un four à micro-ondes -, libéré un temps de son addiction au monde numérique, puis est convié à "reprendre la parole". Le pouvoir de simples mots, projetés et écrits sur les murs-écrans, est-il encore "de nature" à briser les chaînes de puissants algorithmes ? Expérience à couper/redonner la parole à nombre d'entre nous.

Avec : Sarah Morelli, Yasmine-Claire Lafaye, Marta Jonville.

"Missabrevis"

"Missabrevis" © Pierre Planchenault.
"Missabrevis" © Pierre Planchenault.
"Missabrevis" précipite dans une chute "planante" en compagnie de charmantes hôtesses revêtues d'une combinaison immaculée. La spirale de la dépressurisation de l'habitacle Terre, nimbé des lumières et des voix charmeuses des sirènes du néolibéralisme, nous accompagne en douceur vers le crash annoncé. La descente au ralenti conduit non vers l'enfer mais vers l'humus originel, humain et humus ayant les mêmes "racines". Expérience sensorielle - musiques, lumières, créatures de rêve - propre à la méditation humano-politique, la "messe courte" du capitalisme moribond est dite, ainsi soit-il, avec une exquise délicatesse.

Avec : Dina Khuseyn, Leyre Leon Alvarez, Anaëlle Cassagne, Perrine Le Guennec, Marie Lanera.

"Des méduses"

"Des méduses" © Pierre Planchenault.
"Des méduses" © Pierre Planchenault.
"Des méduses", mais quelle peut bien être la fonction de cette pierre remise dès l'entrée dans les mains de chaque spectateur "vivant"… si ce n'est la marque inaugurale de son passage dans une autre dimension, celle du règne minéral d'où, littéralement médusé, il va pouvoir observer en toute impassibilité le monde d'où naguère il est sorti. Pétrifié, devenu pierre, il peut redécouvrir le spectacle de cette autre, méduse polymorphe autant rutilante dans ses atours rouges seyants qu'abjecte dans les mouvements convulsifs de sa langue et de ses yeux exorbités. Pris entre désir et rejet, il, elle, devient alors la pierre sur laquelle se bâtit le nouveau royaume d'une humanité en mutation. Au-delà de la performance esthétique de Méduse, le ressenti d'un trouble, celui de l'inquiétante étrangeté liée à toutes métamorphoses.

Avec : Jeanne Clarieux, Esther Sauzet.

"Syntuitive"

"Syntuitive" © Pierre Planchenault.
"Syntuitive" © Pierre Planchenault.
"Syntuitive" projette sous nos yeux la chorégraphie répétitive de créatures uniformes dans leur combinaison chair surmontée d'une chevelure unisexe hirsute. Au rythme d'une musique elle-même répétitive ils, elles s'élancent l'un, l'une vers l'autre, se séparent, dans un mouvement ininterrompu marqué par les mêmes élans contradictoires et/ou complémentaires. De l'objet final ressort une (certaine) lassitude (certaine) éloignée sans nul doute des intentions de leurs concepteurs, branchés sur le ballet des corps désirants se désentraver de leurs "assujettissements genrés".

Avec : Sophie Dalès, Charles Dauphinot, Justine Puech, Max Codina, Joane Guiheux.

"Peau transparente"

"Peau transparente" © Pierre Planchenault.
"Peau transparente" © Pierre Planchenault.
"Peau transparente", celle de la pellicule argentique des projecteurs "16 mm" des ciné-clubs d'antan, manipulée par des experts des technologies de pointe d'aujourd'hui, mixant, dans une confusion temporelle hautement maîtrisée, les apports vivants d'époques appartenant à d'autres mondes. Travail perfectionniste dévoilé dans la pénombre propice aux projections de tous ordres, cette performance exigeante… peut cependant rester "obscure" pour ceux et celles qui restent à la porte des laboratoires ciné-photographiques high tech.

Avec : Bertrand Grimault, Maverick Laporte, Adrien Edeline.

"Actéon"

"Actéon" © Pierre Planchenault.
"Actéon" © Pierre Planchenault.
Avoir joué "Actéon" - transformé en cerf, après avoir surpris Artémis se baigner nue et être dévoré ensuite par sa meute de chiens ne l'ayant pas reconnu - laisse des traces… C'est cette expérience de violence à "re-présenter" qui donne lieu à l'installation présente où l'humain violenté n'existe qu'au travers de son absence… Absence présentifiée par des affichettes traçant les sévices subis pour les réifier en faisant appel à la "lecture" du spectateur. Ainsi distanciée, la violence ne risque plus de se faire objet de fascination mais s'empare de la symbolique du langage pour faire sens, évitant le danger de complaisance. En circulant silencieusement dans l'espace déserté par les victimes, guidé par les mots tracés, on mesure l'impact d'un art conceptuel ouvrant sur des questionnements que la chose montrée ne peut susciter. Une anti-performance des plus performantes…

Avec : Yacine Sif El Islam, Alexiane Trapp, Li Jingyan, Wang Yu-Men, Layan Qarain, Jessy Maillard.

"Salivalisme"

"Salivalisme" © Pierre Planchenault.
"Salivalisme" © Pierre Planchenault.
"Salivalisme" nous plonge dans un univers ludique alliant passé (décorum des films de science-fiction des années soixante-dix) et futur (diagnostic des pathologies sociales à partir des analyses de salive) pour dire notre présent "performatif". Munis d'éprouvettes, les scientistes recouverts de leur scaphandre aseptisé prélèvent en chacun les éléments biologiques révélant, selon la couleur obtenue, son degré de dépendance aux diktats environnementaux. L'intoxication révélée par le tube à essai donne lieu à une prescription de soins afin de devenir protagoniste de son existence. Un bel objectif politique proposé artistiquement, avec humour et poésie.

Avec : Elizabeth Saint-Jalmes, Océane Poyet, Owen Dupont, Emma Labarth.

Au terme de ce périple, le corps du spectateur, durablement "impressionné" par ces univers traversés, devient lui-même performeur d'une réalité virtuelle… à concevoir de toute urgence.

"Les Prototypes du Vivant", carte blanche à Annabelle Chambon et Cédric Charron, ont eu lieu au Café Pompier des Beaux-Arts de Bordeaux, le jeudi 23 janvier 2020 dans le cadre du Festival Trente Trente.
>> Plus d'infos sur Trente Trente

Exposition performative collective commissionnée par Annabelle Chambon, Cédric Charron et Émilie Houdent.
Avec : Sophie Dalès, Bertrand Grimault, Marta Jonville-Pile, Dina Khuseyn, Johann Loiseau, Elizabeth Saint-Jalmes, Yacine Sif El Islam, Jeanne Clarieux… et 26 étudiants de l'école des Beaux-Arts de Bordeaux.

Yves Kafka
Jeudi 30 Janvier 2020

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024