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Festivals

Festival "L'échappée belle" Une pléiade de formes artistiques (ré)créatives, bols d'oxygène au cœur d'un parc de verdure

Pour son trentième anniversaire, "L'échappée belle", initiée par la Scène nationale du Carré-Colonnes, (ré)invitait plus de vingt compagnies réunissant toutes les facettes des arts vivants. Du hip-hop à l'acrobatie, en passant par le théâtre, sans parler d'autres ovnis (objets volontairement non identifiés), c'est à un cartel de découvertes tous azimuts que le public intergénérationnel déambulant dans le parc arboré de Fontgravey était convié.



"Barbe Bleue" © Pierre Planchenault.
"Barbe Bleue" © Pierre Planchenault.
S'adressant aux plus jeunes (dès 4 ans) et aux moins jeunes réunis là dans le même esprit de partage - et ce n'est pas là un détail anodin quand on sait l'importance des découvertes précoces dans les addictions futures - le festival invite chacun à composer le menu de son choix. Parmi les vingt-deux propositions, cinq ont "occupé" notre temps de présence… ce qui est bien peu, et évidemment frustrant, au regard des autres spectacles à l'affiche.

"Barbe Bleue assez bien raconté(e)" de la Compagnie Caus'Toujours, la bien nommée… Un conteur, Tristan Faucher, sachant fort bien compter sur son sens de l'humour digressif, embarque à sa suite petits et grands dans un "dé-lire" époustouflant du Conte de Perrault. Sont ainsi évoqués d'une voix d'ogre les terrrrrribles secrets - mis au placard de l'Histoire - pour les entrelarder de remarques interprétatives à entendre comme des mises en abyme cocasses de l'univers du conteur. S'autorisant toute licence, en fin limier du théâtre de tréteaux dont il maîtrise tous les codes, il inclut le public dans une narration débridée allant jusqu'à l'émailler de références contemporaines (Marc Dutroux, Émile Louis ou autre Michel Fourniret, ne seraient, à l'aune du légendaire Barbe Bleue, que d'"innocents enfants de chœur"), références trashs volontairement "inaudibles" pour des oreilles enfantines…

Ayant recours à différents objets utilisés comme partenaires - tuyau pour le fouet de l'affreux barbu ou la longue-vue de "sœur Anne ne vois-tu rien venir", ou encore crécelle pour faire entendre les atroces grincements émis par l'ouverture et la fermeture (bis repetita) de la porte fatidique - il joue de tous les ressorts de la bouffonnerie pour séduire un public déjà conquis. De digression en digression, variant à merveille sa voix (voix rauque de l'ogre bleu et chevrotante du loup du chaperon rouge), superposant sciemment les contes, on chemine fatalement vers une chute… mortelle. Chacun y trouvant merveilleusement "son conte".

"Essai Néoromantique" © Thomas Kalinarczykё.
"Essai Néoromantique" © Thomas Kalinarczykё.
"Essai Néoromantique" de la Compagnie 100 issues ouvrant délibérément la voie à des prouesses circassiennes… ayant, pour le moins que l'on puisse ressentir, "le vent en poupe". Armé d'un souffleur de feuilles brandi avec maestria, l'un des trois circassiens "sculpte" littéralement le corps de son alter ego, qui, sous l'effet apparent de l'air propulsé, se contorsionne au rythme du clavier d'un troisième comparse. Autour du mât chinois, les figures chorégraphiées s'enchainent, donnant lieu à des écritures aériennes.

Mais l'humour, chevillé au corps, n'est pas pour autant exempt de cette poésie en mouvement. Ainsi d'une ribambelle de rouleaux hygiéniques se dévidant au gré des notes musicales égrenées, pour venir royalement s'inviter au milieu du ballet. Et comme les histoires d'amour (en général) ne finissent pas toujours mal, dans un final pailleté de confettis de papier toilette, un slow unissant les comparses faisant corps avec leur mât - objet de leur désir - offre un dénouement des plus (néo)romantiques à cette histoire sans parole, mais non sans souffle.

"Deux secondes" © Pierre Planchenault.
"Deux secondes" © Pierre Planchenault.
"Deux secondes !" de la Compagnie du Petit Monsieur n'économisant pas sa peine - et notre plaisir - pour montrer, et démontrer aux vrais sceptiques que nous ne manquons pas d'être pour en avoir fait l'amère expérience, les vertus d'une invention technique ayant révolutionné l'art du camping : la toile montée et repliée (?) en deux petites secondes… Serré à l'étroit dans son costume de cadre aérodynamique, il va se livrer avec grand sérieux à une lutte à l'issue très improbable… du moins si l'on en croit les facéties délurées de l'objet bondissant et rebondissant à l'envi, pour tout dire rebelle à tout domptage humain.

La servitude volontaire n'est visiblement pas à son programme, elle qui n'éprouve aucune tentation de s'y soumettre, rendant caduques les efforts herculéens déployés par le Petit Monsieur n'ayant aucune prise sur cette volonté tentaculaire… Ainsi, cette lutte burlesque opposant une toile de tente (et même plusieurs quand lui vient la fantaisie de faire des petits) et un homo sapiens en costume ne pourra se résoudre sans l'intervention d'une jeune spectatrice zélée. Présentant "déplié" le mode d'emploi de ladite tente, elle sert d'assistante à l'Auguste qui, après moult efforts clownesques et la multiplication de l'objet de sa détresse, arrivera enfin… à ses fins. L'artiste s'étant plié en quatre, la tente en fera de même.

"Il y a quelque chose de pourri…" © Pierre Planchenault.
"Il y a quelque chose de pourri…" © Pierre Planchenault.
"Il y a quelque chose de pourri, variation hamlétique" de la Compagnie Elvis Alatac part à l'attaque (c'est inscrit dans son ADN) de "la pièce des pièces", la plus jouée et commentée du Grand Shakespeare… Et quelles sont donc, saperlipopette, ses armes pour affronter un tel défi ? Un castelet branlant et ses rideaux de velours d'un rouge passablement passé, sur le rebord duquel attendent d'entrer en scène une fourchette trident, une théière ventrue, un litron de rouge, une pelote de laine, une roulette à pizza, une fleur en plastique, et autres objets du même acabit promus pour l'occasion au grade de personnages de tragédie.

Sans oublier, pour compléter ce "Palais des miracles" - on est à la Cour du Roi ! - un(e) comparse faire-valoir assurant côté cour les bruitages musicaux et autres fioritures à base de fausse hémoglobine, aussi impassible que le personnage-titre débordera de commentaires "en tous sens". Le décor étant planté, après un prologue où Hamlet en personne - Prince de Danemark ! - accueille tout sourire le bon peuple en lui proposant un vestiaire (Y aurait-il une machination là-dessous ? N'est-il pas déjà en train de fomenter sa vengeance ?), la machinerie s'emballe…

Multipliant les assauts burlesques, Hamlet se débat comme un beau diable, endossant tous les personnages via les objets susnommés, se heurtant bruyamment la tête à la dure réalité d'un surmoi impitoyable (voir les grondements du toit en tôle le surplombant), passant au fil de l'épée le litron (euh… le chambellan) avec forte effusion de plasma, pour parcourir à grands renforts de fantaisies clownesques les cinq actes d'une vengeance à jamais épique… Ainsi la folie (feinte) du personnage shakespearien trouve-t-elle là son réel objet théâtral. De même, en introduisant par le truchement d'un castelet, le théâtre dans le théâtre jusqu'à l'issue grand-guignolesque (vraiment) mortelle, la Compagnie Elvis Alatac joue-t-elle à merveille du spectaculaire… pour faire spectacle vivant de "LA" tragédie élisabéthaine.

"GIC" © Pierre Planchenault.
"GIC" © Pierre Planchenault.
"GIC - Groupe d'intervention Chorégraphique" de la Cie Rêvolution, livrant un millésime 2022 qui fera, sans nul doute, date… En effet, avancer qu'il s'agirait-là d'une performance touchant à l'essence même du hip-hop ferait (presque) figure d'euphémisme tant, à bien des égards, on semble transporté sur les hauts sommets de cette danse contemporaine issue des quartiers.

Imaginez… Un skatepark sur les flancs duquel les spectateurs ont pris place quand surgissent de la foule cinq danseurs tous aussi déterminés les uns que les autres à en découdre avec l'asphalte. Leur énergie transcende le commun pour en exalter la force inaltérable portée à son incandescence. Et, ce qui touche d'emblée, c'est que chacun affirme son jeu libertaire au sein d'un collectif soudé comme les doigts de la main. Arriver à faire autant corps collectif, en valorisant l'autonomie de chacune de ses composantes, est résoudre… la quadrature du cercle. Une épiphanie aux effets sidérants.

En quatre tableaux résonnant en nous comme des manifestes poétiques et/ou rageurs, inscrits les uns et les autres dans la réalité des émotions subordonnées à aucun diktat autre que la vérité du ressenti, les interprètes livrent d'époustouflants paysages humains dessinés en chorégraphies de feu.

L'échappée Belle, ambiance © Yves Kafka.
L'échappée Belle, ambiance © Yves Kafka.
Comment ne pas être séduit par la beauté fascinante de ces corps incroyablement toniques exaltant le besoin d'une infinie tendresse à partager ? Comment ne pas ressentir au fond de soi la rage de leur regard déterminé face à la violence exercée par le monde contemporain ? Comment n'être pas éclaboussé par autant de figures dont les prouesses techniques hors normes "prennent sens" en se mettant au service, corps et âme fondus dans la même entité, des émotions subliminales qu'elles charrient ?

Clin d'œil malicieux au "GIGN - Groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale", spécialisé lui aussi dans la gestion des missions dangereuses, le "GIC - Groupe d'intervention Chorégraphique" s'engage avec fougue et ardeur, à corps perdu, dans une lutte délibérément raisonnée. En inscrivant ainsi dans l'espace urbain d'une piste de skate-board "graffée" ces chorégraphies solaires, Anthony Egéa et ses danseurs rayonnent d'une énergie propre à réenchanter un monde - notre monde - qui crève sous les assauts incessants des violences ordinaires. Non en le contournant ce monde délétère, mais en l'affrontant de plain-pied, pour, en toute urgence, entrer résolument dans le "vif du sujet".


Le Festival "L'échappée belle" (30e anniversaire cette année) a eu lieu du 2 au 5 juin 2022, au Parc de Fongravey à Blanquefort (33), une initiative de la Scène nationale Carré-Colonnes.

Yves Kafka
Mardi 14 Juin 2022

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

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Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

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Brigitte Corrigou
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Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

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15/09/2023