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Théâtre

"Fantasio" L'expression contemporaine d'un mal-être générationnel

"Buvons l'ami et songeons à ce mariage point désiré." Éternel sujet maintes fois traité par nos grands auteurs classiques, l'union "forcée" reste encore d'actualité et l'acte de résistance qu'opposent les femmes, quel que soit le pays, peut induire une forme de rébellion et une revendication d'indépendance, d'autonomie, de liberté qui traversent facilement le prisme de la modernité.



© Andreas Eggler.
© Andreas Eggler.
Il y a des compagnies et des metteurs en scène que l'on a particulièrement plaisir à suivre, à retrouver. Qui nous offre des moments où l'on aime sans crainte laisser se glisser nos oreilles, nos yeux, notre attention dans le confort d'une nouvelle création dont on sait quasiment par avance qu'elle nous régalera, ravira tous nos sens. Un spectacle de la Cie de L'Éternel fait assurément partie de ces petits bonheurs qui sont résolument inscrits dans une pratique novatrice, fougueuse, audacieuse et talentueuse de l'art des saltimbanques… celui qui réjouissait les foules au temps des tréteaux, des "sauteurs de bancs"*.

Au cœur de la pièce de Musset se joue le mariage politique de la princesse Elsbeth, enjeu d'un pays/royaume, décevant, sans vigueur et sans perspective pour les jeunes générations, à la gouvernance désabusée. En contrepoint, Fantasio, jeune homme désespéré - fuyant la routine, l'ennui qui naît du quotidien, la lassitude du "rien faire" -, désargenté et à l'avenir incertain, se joue des conventions, peu respectueux de la gente bien-pensante. Endossant de manière inattendue la posture et le costume de bouffon, habité d'une folle énergie soudaine et d'excès de lucidité bénéfique, il bouleverse la donne, sème un joyeux et revigorant bordel, boosté par un esprit vif et pertinent, et fait imploser sans violence le mariage.

© Valentin Perrin.
© Valentin Perrin.
Aux côtés de Fantasio, les personnages féminins et masculins débordent d’une énergie délirante qui pourrait frayer avec le burlesque. La troupe nous plonge dans une fête des fous, une illumination féérique, musicale, portée par des reprises rock et pop - très rythmées, bien balancées - de Nick Cave, David Bowie, PJ Harvey ou les Doors… interprétées en live par les comédiens qui se révèlent être aussi des musiciens. C'est d'une modernité presque futuriste. Les compositions sont jouées depuis une "seconde" scène, comme un grand castelet avec rideau rouge.

Impulsant cette vitalité, magicien manipulateur de mécanismes fantasmagoriques, Emmanuel Besnault, metteur en scène et animateur de la compagnie, a ceci de particulier qu'il instille dans chacun de ses choix artistiques - voir ses remarquables "Fourberies de Scapin" - une patte, un style, une contemporanéité très personnels.

Dans cette dynamique de jeu bien spécifique aux comédiens de la compagnie, une énergie jubilatoire transparaît, une envie forte, irrésistible, joyeuse, communicative de faire théâtre, d'incarner quasiment avec insolence chaque rôle (chacun en interprétant plusieurs), d'exprimer une générosité à satisfaire les spectateurs. Même les costumes aiguisent, chatouillent l'œil.
Le clownesque, le burlesque presque "cartoon" jouent les ornements additifs.

L'impression qui en ressort est un univers théâtrale riche et coloré avec le maintien d'une direction d'acteurs toujours professionnelle, notable notamment dans la qualité du phrasé, délié et précis, de l'élocution à la fois vive et audible.

D'une manière générale, même si le texte de Musset - un classique of course ! - n'a de secret pour personne, dans la proposition d'Emmanuel Besnault et de la Cie de L'Éternel Été, rien n'est attendu, chaque séquence étant une surprise. De chaque seconde qui passe avec bonheur, on se languit déjà de la suivante. La démonstration dramatique et l'interprétation proposées sont jubilatoires, résolument modernes et réjouissantes !

* Saltimbanque, saltimbanco : composé de salta (de saltare, sauter), in (en) et banco "banc, estrade".

"Fantasio"

© Andreas Eggler.
© Andreas Eggler.
Texte : Alfred De Musset
Mise en scène : Emmanuel Besnault.
Avec : Lionel Fournier, Benoit Gruel, Élisa Oriol, Deniz Türkmen, Manuel Le Velly.
Assistante, masques et accessoires : Juliette Paul.
Lumières : Cyril Manetta.
Costumes et maquillages : Valentin Perrin.
Scénographie : Emmanuel Besnault.
Production : Cie de L'Éternel Été.
Durée : 1 h 20.

Du 26 janvier au 27 mars 2022.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h ou 17 h.
Le Lucernaire, Théâtre Noir, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

© Valentin Perrin.
© Valentin Perrin.

Gil Chauveau
Jeudi 17 Mars 2022

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© Ève Pinel.
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© Betül Balkan.
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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
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