La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

En quoi cette nuit… ?" Porter les souvenirs et les traditions au sommet de la vie, essentiels et fondamentaux

Nathalie prépare le repas traditionnel. Elle a promis. Promis de célébrer cette fête. À sa mère, comme une tradition. C'est la fête de la Pessa'h, la Pâque juive. Guillaume est à l'étage, il répète pour un concert. Lui aussi aime les fêtes. Ils ne sont pas croyants. Une tradition, c'est une occasion. Tout le monde sera là.



© Dilan Vurpillot.
© Dilan Vurpillot.
Nathalie est heureuse. Élise va venir plus tôt pour aider sa mère. Elle a conduit Sarah à son cours de piano. C'est un mercredi. Sarah a six ans. Elle est inquiète, il est question qu'ils changent de maison. Pourtant, c'est à deux pas ! Cette soirée est belle. On rit, on s'amuse, on se souvient des absents, des présents. Et surtout, on "lit" l'histoire. On la raconte. On la reconsidère…

La vie, il faut la célébrer, tout y célébrer, comme les traditions, sans oublier les souvenirs qui doivent s'entretenir pour que chacune et chacun s'y agrippe, notamment lorsque le doute s'installe.

Pour les auteurs, Barbara et Renaud Tissier, sœur et frère dans la vie, ce projet théâtral a été une évidence, centré sur l'idée que les souvenirs ont participé à comprendre et à transmettre une part d'eux-mêmes.

Nathalie, c'est la mère juive par excellence. Elle est née en Algérie, mais elle est mariée à un catholique. Guillaume, lui, il est là sans y être vraiment, répète son violon à l'étage pour un futur concert, et ne répond jamais… Élise, c'est la fille de Nathalie.

"Ça ne veut rien dire. J'ai fait ma communion, et je ne parle pas latin". Elle ne comprend pas tout. Elle s'inquiète des appréhensions récurrentes de sa fillette à déménager, même si la nouvelle maison est toute proche. Elle sent que c'est sur elle que tout se cristallise…

L'originalité de l'écriture de cette pièce réside sans doute sur ce point particulier ! Que le père, cet homme absent-présent, ne réponde pas. Que les autres personnages ne soient pas là non plus. Mais que, par contre, Sarah, la fillette, de six ans juste, évoque aussi, mais tellement présente, s'interroge, et pose plein de questions, avec, en elle, la crainte de quitter sa maison, comme un déracinement, pour elle aussi !

© Dilan Vurpillot.
© Dilan Vurpillot.
Qu'y aura-t-il de différent ce soir-là ? "En quoi cette nuit… ?" fait-elle vaciller, d'une certaine manière, l'idée de croyance et de traditions indéboulonnables ancrées comme du granit dans les corps et les âmes de chacune et chacun d'entre nous, jusqu'à la faire chavirer ?

La célébration de la Pâque juive, ici, n'est finalement qu'un prétexte qui confère à la pièce une dimension très fine et hautement sensible. Le tout étant remarquablement interprété par les deux seules comédiennes, Barbara Tissier et Camille Timmerman, qui jouent tous les personnages ou, en tout cas, s'adressent à eux, en réussissant avec brio à nous faire croire, grâce à leur talent, qu'ils sont tous sur scène : Rebecca, David, Guillaume, Natacha, Déborah, Samuel, Nhat-Nam, ou encore Paul.

Barbara Tissier, sous des faux airs de Catherine Frot, est éblouissante de justesse, et parvient à dépasser les moments émouvants sans pathos aucun, mais avec un véritable talent d'interprétation. Après avoir tourné à l'âge de dix ans dans "Passion" de Godard, il lui a paru évident qu'elle deviendrait comédienne. La saison 2023-2024, elle la passe au Théâtre Hébertot dans une reprise du "Repas des Fauves" avec Thierry Frémont.

Camille Timmerman, quant à elle, parvient à transmettre par son jeu très investi et organique un brillant éclairage sur le présent, que l'on doit au passé, certes, qui nous unit, certes, mais qui doit aussi s'inscrire dans le futur.

Sa fillette, Sacha, c'est le futur, mais dans l'écriture de la pièce, c'est surtout le symbole du présent et de la vie qui va, contre vents et marées, entre traditions et avancées inéluctables.

Le musicien-guitariste Alban Losseroy accompagne sur scène les deux comédiennes, faisant résonner bien joliment, grâce à ses notes attendrissantes, leurs mots, leurs intentions et leurs émotions partagées bien palpables.

© Dilan Vurpillot.
© Dilan Vurpillot.
Le passage retraçant le dîner de famille est tout simplement exceptionnel de créativité, dans lequel les deux voix des comédiennes se cognent admirablement comme dans un match de tennis de table, se répondent, alertes et virevoltantes. Un très très beau moment de spectacle dû, peut-être, au souffle créativement scientifique de Renaud Tissier, chercheur, vétérinaire, Docteur d'Université et Professeur de Pharmacologie.

"Un frère et une sœur, deux constructions professionnelles différentes, et pourtant, une création commune évidente".

La mise en scène de David Nathanson confère, par moments, au propos de la pièce des allures de huis clos, mais qui est largement galvanisé par l'énergie des deux comédiennes.

"En quoi cette nuit" est une bien jolie pièce sur le poids des traditions, non dénuée d'humour, ce qui n'est pas sans apporter une certaine légèreté à des situations qui pèsent parfois très lourd dans les familles…
◙ Brigitte Corrigou

"En quoi cette nuit… ?"

Texte : Barbara et Renaud Tissier.
Mise en scène : David Nathanson.
Avec : Barbara Tissier, Camille Timmerman ou Hannah-Jazz Mertens (en alternance), Alban Losseroy.
Scénographie : Marie Hervé.
Musicien : Alban Losseroy.
Compositeur : Michel Mella.
Lumières : Denis Schlepp.
Compagnie "En quoi cette nuit", avec le soutien de l'Espace Rachi de Paris.
Durée : 1 h 20.

Du 24 septembre au 3 novembre 2024.
Mardi à 19 h et dimanche à 16 h.
Théâtre de la Reine Blanche, Paris 18ᵉ, 01 42 05 47 31.
>> reineblanche.com

Brigitte Corrigou
Mercredi 23 Octobre 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Différente" Carolina ou "Cada uno es un mundo (Chacun est un monde)"

Star internationale à la frange rouge, Carolina est de retour en France, après sa tournée mondiale. Heureuse de retrouver son public préféré, elle interprète en live des chansons populaires qui touchent le cœur de toutes les générations.

© Audrey Bären.
Mais qui est donc cette incontournable Carolina ? Ou, plus exactement, qui se cache derrière cette artiste plutôt extravagante, à la folie douce ? De qui est-elle l'extension, au juste ?

L'éternelle question autour de l'acte créatif nous interpelle souvent, et nous amène à nous demander quelles influences l'homme ou la femme ont-ils sur leurs "créatures" fabriquées de toutes pièces ! Quelles inspirations les ont portées ! Autant de questions qui peuvent nous traverser particulièrement l'esprit si tant est que l'on connaisse un peu l'histoire de Miguel-Ange Sarmiento !

Parce que ce n'est pas la première fois que Carolina monte sur scène… Décidément, elle en a des choses à nous dire, à chaque fois. Elle est intarissable. Ce n'est pas Rémi Cotta qui dira le contraire, lui qui l'accompagne depuis déjà dix ans et tire sur les ficelles bien huilées de sa vie bien remplie.

Rémi Cotta, artiste plasticien, graphiste, comédien, chanteur lyrique, ou encore metteur en scène, sait jouer de ses multiples talents artistiques pour confier une parole virevoltante à notre Carolina. Il suffit de se souvenir du très original "Carolina Show", en 2010, première émission de télé sans caméra ayant reçu de nombreux artistes connus ou moins connus ou le "Happy Show de Carolina", ainsi que les spectacles musicaux "Carolina, naissance d'une étoile", "Le Cabaret de Carolina", ou encore " Carolina, L'Intelligence Artificielle".

"Différente" est en réalité la maturation de plusieurs années de cabarets et de spectacles où Carolina chante pourquoi et comment elle est devenue une star internationale tout en traversant sa vie avec sa différence". Miguel-Ange Sarmiento.

Brigitte Corrigou
08/11/2024
Spectacle à la Une

"Tout va très bien !" Le Grand Orchestre du Splendid, bon pied bon œil, revient avec de la musique sur tous les fronts

Voir les choses en grand tout en restant léger ! Prendre du plaisir et, surtout, en donner ! Voilà la philosophie du Grand orchestre du Splendid qui régale le public depuis 1977. Bientôt 50 ans… Bientôt le jubilé. "De la musique avant toute chose" et vivre, vivre, vivre…

© Aurélie Courteille.
En 1977, quelques amis musiciens professionnels se retrouvent entre eux et décident de s'amuser en réinterprétant des classiques tels que ceux de Ray Ventura ou de Duke Ellington. Ce qui ne devait être qu'un plaisir entre copains devient vite un succès immédiat qui dure depuis presque 50 ans. Mais quel est donc le secret de cette longévité entre rythmes endiablés, joyeuses cadences et show totalement désopilants ?

Ne le leur demandez pas ! Ils ne vous en diront rien… Si tant est qu'ils le sachent eux-mêmes, tant cette énergie semble ancrée en eux depuis toutes ces années, indéfectible, salvatrice et impérissable.

Entre swing, jazz, salsa, reggae – quatre de leurs principales influences –, ou encore fiesta et mises en scène délirantes, les quatorze chanteuses et musiciens de l'Orchestre mythique enchantent le public, sur la scène du Café de la Gare, depuis le 11 novembre. Comme à leurs premières heures, et en échappant pourtant aux codes et impératifs de la mode, ils nous donnent irrésistiblement envie de monter sur scène pour danser à leurs côtés sur le plateau, frétiller, sautiller, et tout oublier l'espace de quelques instants. Leur énergie communicative est sans failles, et gagne sans commune mesure toutes les générations. Les cuivres étincellent. Les voix brillent de mille feux sonores.

Brigitte Corrigou
13/11/2024
Spectacle à la Une

"Jacques et Chirac" Un "Magouille blues"* décapant et burlesque n'occultant pas le mythe du président sympa et séducteur

Une comédie satirique enjouée sur le pouvoir, le mensonge et la Cinquième République portée par une distribution tonitruante et enthousiaste, dégustant avec gourmandise le texte de Régis Vlachos pour en offrir la clownesque et didactique substantifique moelle aux spectateurs. Cela est rendu aussi possible grâce à l'art sensible et maîtrisé de l'écriture de l'auteur qui mêle recherche documentaire affinée, humour décapant et bouffonnerie chamarrée pour dévoiler les tours et contours d'un Jacques sans qui Chirac ne serait rien.

© Fabienne Rappeneau.
Portraitiste décalé et impertinent d'une Histoire de France ou de l'Humanité aux galbes pas toujours gracieux dont surgissent parfois les affres de notre condition humaine, Régis Vlachos, "Cabaret Louise" (Louise Michel), "Dieu est mort" (Dieu, mieux vaut en rire)"Little Boy" (nom de la bombe larguée sur Hiroshima), revient avec un nouveau spectacle (création 2023) inspiré d'un des plus grands scandales de notre histoire contemporaine : la Françafrique. Et qui d'autre que Jacques Chirac – l'homme qui faisait la bise aux dictateurs – pouvait être convoqué au "tribunal" du rire et de la fantaisie par l'auteur facétieux, mais doté d'une conscience politique aiguë, qu'est Régis Vlachos.

Le président disparu en 2019 fut un homme complexe composé du Chirac "bulldozer" en politique, menteur, magouilleur, et du Jacques, individu affable, charmeur, mettant autant la main au cul des vaches que des femmes. Celui-ci fut d'abord attiré le communisme pour ses idéaux pacifistes. Il vendra même L'Humanité-dimanche devant l'église Saint-Sulpice.

La diversité des personnalités importantes qui marquèrent le début de son chemin politique joue tout autant la complexité : Michel Rocard, André Malraux et, bien sûr, Georges Pompidou comme modèle, Marie-France Garaud, Pierre Juillet… et Dassault comme portefeuille ! Le tout agrémenté de nombre de symboles forts et de cafouillages désastreux : le bruit et l'odeur, la pomme, le cul des vaches, les vacances à l'île Maurice, les amitiés avec les despotes infréquentables, l'affaire ELF, etc.

Gil Chauveau
03/11/2024