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Théâtre

Dans "Nos jardins Histoire(s) de France #2", la parole elle aussi pousse, bourgeonne et donne des fruits

"Nos Jardins", ce sont les jardins ouvriers, ces petits lopins de terre que certaines communes ont commencé à mettre à disposition des administrés à la fin du XIXe siècle. Le but était de fournir ainsi aux concitoyens les plus pauvres un petit bout de terre où cultiver légumes, tubercules et fruits de manière à soulager les finances de ces ménages, mais aussi de profiter des joies de la nature. "Nos Jardins", ce sont également les jardins d'agrément que les nobles, les rois puis les bourgeois firent construire autour de leurs châteaux par des jardiniers dont certains, comme André Le Nôtre, devinrent extrêmement réputés. Ce spectacle englobe ces deux visions de la terre pour développer un débat militant, social et historique.



Photo de répétition © Cie du Double.
Photo de répétition © Cie du Double.
L'argument de la pièce raconte la prochaine destruction d'un jardin ouvrier pour implanter à sa place un centre commercial. On est ici en prise directe avec l'actualité. Il y a un an, la destruction d'une partie des jardins ouvriers d'Aubervilliers pour construire des infrastructures accueillant les JO 2024 avait soulevé la colère d'une partie des habitants et l'action de défenseurs des jardins. Le jugement de relaxe de ces derniers ne date que de quelques semaines. Un sujet brûlant donc, à l'heure où chaque mètre carré de béton à la surface du globe le prive d'une goutte de vie.

Trois personnages sont impliqués dans cette tragédie sociale : deux lycéennes et un lycéen. Les deux premières forment le noyau dur de cette résistance à la destruction, le dernier est tout dévoué au modernisme, féru de mode et sans doute de fast-food, il se moque bien des légumes qui poussent sans aucune beauté à ses yeux. L'auteur Amine Adjina met ainsi en place les germes d'un débat qui va opposer les deux camps.

Photo de répétition © Cie du Double.
Photo de répétition © Cie du Double.
Quand le garçon, Gauthier, ne rêve que des jardins prestigieux du roi-soleil (pour lequel il se prend par moments), les deux filles, Mélisande et Manon, ont la réalité collée au corps, car le sort de ce jardin ouvrier en péril les touche directement, du moins, leurs familles. Dans ce combat pour préserver ces espaces de vie, elles deviennent militantes, fourbissent des pancartes, provoquent des actions, des manifestations. Mais l'action militante, sans chercher à convaincre de la légitimité de celle-ci, ne suffit pas.

C'est là l'intérêt pédagogique de cette fresque destinée à un public jeune : montrer les leviers, les obstacles et les luttes que les jeunes filles vont développer pour convaincre Gauthier de les rejoindre dans leurs luttes. Arguments écologiques et historiques se croisent alors pour évoquer les différents arguments échangés et l'on traverse ainsi l'évocation du roi-soleil, puis celle de la Commune de Paris (symbolique de la révolte de toute une ville contre un pouvoir aveugle).

Le dispositif bifrontal choisi par Amine Adjina et Émilie Prévosteau permet d'intégrer le public aux propos et aux harangues qui traversent la pièce. Les trois acteurs, jeunes, fraîchement issus de l'École Supérieur d'Art Dramatique, ont à peine plus que l'âge des lycéens qu'ils interprètent. On les croirait jouant leur propre rôle. Ils sont d'un réalisme absolu, sans zones d'ombre, mais débordant d'énergie et le texte d'Amine Adjina semble avoir été cousu pour leurs lèvres. Cela ajoute encore au sentiment de vérité ressenti et à l'identification que les lycéens et les collégiens du public sont susceptibles de ressentir.

Vérité des enjeux, vérité des arguments, vérité de la nécessité d'agir, "Nos Jardins" proclame la vertu de la mobilisation populaire, mais aussi et surtout la force de conviction que l'expression, la parole possède pour que bougent les lignes.

"Nos jardins Histoire(s) de France #2"

Photo de répétition © Cie du Double.
Photo de répétition © Cie du Double.
Texte : Amine Adjina.
Mise en scène : Amine Adjina & Émilie Prévosteau.
Avec : Mélisande Dorvault, Manon Hugny et Gauthier Wahl.
Scénographie : Cécile Trémolières.
Création sonore : Fabien Aléa Nicol.
Création lumières et régie générale : Azéline Cornut.
Construction Frédéric Fruchart.
Costumes : Majan Pochard.
À partir de 15 ans.
Durée : 1 h 20.
Par la Compagnie du Double.

Tournée
3 au 6 janvier 2023 : Le Théâtre - Scène nationale, Angoulême (16).
10 et 11 janvier 2023 : Le Gallia Théâtre - Scène conventionnée d'intérêt national Art et Création, Saintes (17).
2 et 3 février 2023 : La Halle aux Grains - Scène nationale, Blois (41).
9 et 10 mars 2023 : 3E, Communauté de communes, Ernée (53).
14 et 15 mars 2023 : Théâtre la Passerelle - Scène nationale, Gap (05).
21 mars 2023 : Théâtre au Fil de l'Eau, Pantin (93).
20 et 21 avril 2023 : L'Agora-Desnos - Scène nationale de l'Essonne, Évry (91).
9 au 13 mai 2023 : Le Tangram - Scène nationale d'Évreux-Louviers (27).
22 au 27 mai 2023 : Malakoff - Scène nationale, Théâtre 71, Malakoff (92).

Bruno Fougniès
Vendredi 23 Décembre 2022

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
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Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023