La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Danemark, la tragédie d'Hamlet"... Tout en malice faussement objective, une pièce étonnamment actuelle

"Danemark, la tragédie d'Hamlet", Théâtre Romain Rolland, Villejuif (94)

La Jacquerie reprend le voyage des comédiens et c'est très bien. La troupe (le collectif) revisite Hamlet à sa manière. Qui donne sa primauté au jeu théâtral. La proposition de Joan Bellviure, "Danemark la tragédie d'Hamlet", simplifie la forme, n'entre pas dans l'intimité des méandres de la situation… Les scènes sont réordonnancées, le langage retravaillé, les épisodes conservés.



© Claire Reboisson.
© Claire Reboisson.
Plus linéaire que l'original, cette forme donne la primauté au mouvement sur le plateau. Le temps est accéléré. Il contraint les personnages à exprimer leur vérité sans finasser. Il y a pour eux une urgence à se dire avant que le récit ne soit scellé par la victoire de Fortinbras et que l'extinction de la famille des Hamlet soit avérée. Comme si la mémoire de leur vie était livrée au tribunal, d'un commentateur qui dicterait à leur place le sens de l'histoire.

Ce théâtre qui fait confiance au jeu est haletant. Dans le déroulé du spectacle, les comédiens portent avec énergie des personnages qui combattent pour leur image et la postérité. Sans qu'il soit question de citation historique psychologique, etc. etc., le spectateur ressent la présence d'un narrateur invisible… et menaçant. Il est face au désarroi des protagonistes et des femmes de pouvoir plongés affolés dans une situation qui dégénère et qu'ils ne peuvent ni maîtriser ni réguler.

Il y a quelque chose de pourri dans ce royaume peuplé de médiocres auquel la musique apporte, par sa propre force de dramatisation, une ambiance destructrice qui met en valeur les duos.

© Claire Reboisson.
© Claire Reboisson.
Hamlet et Ophélie nés dans un monde sans futur opposent à la bêtise des adultes et leur indifférence une rage de vivre qui les épuise sans qu'il y paraisse. Hamlet fermé à tout s'oppose à tous les coups qui lui sont (ou qu'il lui paraissent) lui être portés. Tourbillonne, monotone, incertain de sa vérité. Complot. Délire. Folie. On ne saura jamais. Ophélie pleine de vie dans sa révolte décline jusqu'à tenir son rôle de victime expiatoire consentante et sublime. Punks tous deux d'une certaine manière.

Et pourtant la mère reine Gertrude séductrice, duplice, élégante montre étonnamment les signes d'une mère aimante à son fils résistant et pantelant.

Pleine de malice faussement objective, "Danemark, la tragédie d'Hamlet" est une pièce étonnamment actuelle. Elle se présente comme un récit filmique, un documentaire fiction qui montrerait tout des faits réels ou supposés et ne résoudrait aucune énigme. C'est le génie du métier de bateleur, du story telling. Le début de la réflexion pour le spectateur qui applaudit.

"Danemark, la tragédie d'Hamlet"

© Claire Reboisson.
© Claire Reboisson.
Adaptation de "La tragique histoire d’Hamlet, prince de Danemark" de William Shakespeare.
Traduction: Pascal Collin.
Adaptation et mise en scène : Joan Bellviure.
Collaboration artistique : Georges Roiron, Véronic Joly, Pascal Le Guennec.
Assistant à la mise en scène : Nicolas Gaspar.
Scénographie, costumes : Mathilde Meignan.
Musiques : Gilles Sivilotto.
Lumières : Pierre Gauvrit.
Avec : Laurent Cogez, Paul Delbreil, Olivier Descargues, Noémie Fourdan, Véronic Joly, Pascal Le Guennec, Stéphane Miquel.
Durée : 2 h 10.

Du 6 au 17 novembre 2014.
Jeudi et vendredi à 20 h 30, samedi et lundi à 19 h et dimanche à 16 h .
Théâtre Romain Rolland, Scène Églantine, Villejuif (94), 01 49 58 17 01.
>> trr.fr

Tournée
13 mars 2015 : Centre Culturel Aragon Triolet, Orly (94).
27 et 28 mars 2015 : Théâtre Gérard Philippe, Champigny-sur-Marne (94).
31 mars 2015 : L’Onde, Vélizy-Villacoublay (78).

Jean Grapin
Jeudi 13 Novembre 2014

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | À l'affiche ter


Brèves & Com


Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023