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Théâtre

"C'est si simple l'amour" nous dit Lars Norén avec son air mi-ange, mi-démon

Charles Berling se frotte à l'élégance dévastatrice de Lars Norén avec un appétit d'ogre puisqu'il présente, en ce début d'année, "C'est si simple l'amour" et créera la saison prochaine une deuxième pièce de l'auteur suédois : "Lost an Found". Les mots, les obsessions et les flèches enflammées lancées vers le monde bourgeois par l'auteur nordique seront donc le quotidien pour deux ans du directeur du théâtre Chateauvallon-Liberté de Toulon puisqu'il en sera à la fois le metteur-en-scène et l'un des interprètes.



© Vincent Berenger.
© Vincent Berenger.
C'est dans un univers noir, mais également loufoque, que nous plongent les pièces de Lars Norén. Tel un démiurge s'amusant des égarements, des peurs et des doutes de ses créatures, il tire avec art et délectation les ficelles qui vont animer et faire vibrer les cœurs de ses personnages. Dans "C'est simple l'amour", il choisit de jeter sur scène deux couples : un couple de comédiens dont c'était le grand retour à la célébrité, ce soir, qui reçoit un couple d'amis dont la femme est comédienne et le mari psychologue. C'est la fête. Une fête de première. L'ivresse des applaudissements et des louanges qui appellent la nécessité d'autres ivresses, celle des sens, celle de l'ébriété la plus systématique.

Monde des apparences que celui des notables, monde des illusions, celui des comédiennes et des comédiens, les deux mondes vont ici trouver un beau terrain de jeu où s'entendre, se croiser, se tordre et finir par se déchirer. Il y a en effet une soif de mettre en pièces l'apparat dans ces échanges de couples à couples et un appétit insatiable pour le vif, le sanglant, le vivant. Mais à aucun moment et dès les premiers échanges, les personnages n'acceptent la banalité. On se déchire avec amour et on se blesse par mégarde ou maladresse, droits dans les yeux, même si parfois ceux-ci sont aveugles.

© Vincent Berenger.
© Vincent Berenger.
Tel un concerto qui débute dès les premières mesures en allegro, la pièce ne décolère jamais. Et pourtant, les variations sont nombreuses, rythmées, provocantes, avec une constante dans l'agressivité qui semble être le moteur du couple d'acteurs. L'écriture de Lars Norén parvient à faire des variations inattendues qui redonnent à chaque scène du sel et une saveur surprenante, et parvient à creuser profondément l'abîme que le temps creuse entre les êtres au fil des ans.

Le temps est ce bien précieux qui a enrichi et tué l'amour de ces couples qui, depuis vingt ans, vivent. Mais est-ce un show vaguement pervers que joue le couple d'acteurs devant le couple d'invité de première ? Peut-être, mais pas uniquement. Sous le gratuit de certaines répliques au langage le plus cru possible, on sent les sentiments frémir. Étouffés. Et refusant de mourir.

La mise en scène imaginée par Charles Berling porte directement sur scène cette dimension exhibitionniste en invitant des spectateurs à s'installer dans le salon dans lequel se déroule l'action. Ils sont aux premières loges pour observer les heurts, les crises, les coups bas que vont s'infliger les personnages durant près de deux heures. Il n'y a rien de statique dans cette soirée. Les chaises, les bouteilles, les verres et les cœurs volent en éclats. Et les révélations qui naissent de leur ivresse sans cesse alimentée glacent, par moment, tous les sens.

© Vincent Berenger.
© Vincent Berenger.
C'est un exercice périlleux, difficile, que réalisent là les quatre interprètes, car le texte de la pièce foisonne de passages savoureux qu'un jeu un peu détendu rendrait banal, voire vulgaire. Le jeu et la direction d'acteur évitent totalement cette perdition. L'humour un peu cynique chatoie, le violent coupe, l'ironie rutile, le loufoque rit à pleine gorge et en fond de tout cela, la peinture vitriolée du monde du théâtre bourgeois saute aux yeux.

La belle performance des quatre interprètes que de rester quasiment deux heures sur scène dans une tension sans intermède ! Il faut la saluer. Chacun parvient à créer un personnage qui n'est jamais caricatural. Chacun étant d'ailleurs aussi attachant que repoussant. D'une réalité touchante. Ni diable, ni ange, mais tout de même à la fois ange et diable.
◙ Bruno Fougniès

'C'est si simple l'amour"

© Vincent Berenger.
© Vincent Berenger.
Texte : Lars Norén.
Traduction : Aino Höglund et Amélie Wendling.
Adaptation : Alain Fromager et Amélie Wendling.
Mise en scène : Charles Berling.
Collaboration artistique : Christiane Cohendy et Amélie Wendling.
Avec : Charles Berling, Alain Fromager, Caroline Proust et Bérengère Warluzel.
Scénographie : Charles Berling et Marco Giusti.
Costumes : Bernadette Villard.
Création lumières : Marco Giusti.
Production : Châteauvallon-Liberté, scène nationale.
Création le 5 mars 2025 au Liberté, scène nationale.
Coproduction : Théâtre National de Nice - TNN.
Pour tous dès 15 ans.
Durée : 2 h.

Du 5 au 21 mars 2025.
Du mardi au vendredi à 19 h 30, samedi à 21 h.
Le Liberté - scène nationale, Salle Fanny Ardant, Toulon, 09 800 840 40.
>> chateauvallon-liberte.fr

© Vincent Berenger.
© Vincent Berenger.
Tournée
16 et 17 mai 2025 : Maison des Arts du Léman, Thonon-les-Bains (74).
3 au 7 mars 2026 : Théâtre du Jeu de Paume, Les Théâtres, Aix-en-Provence (13).
10 au 21 mars 2026 : Espace des arts - Scène nationale, Chalon-sur-Saône (71).
31 mars au 2 avril 2026 : Théâtre National, Nice (06).
18 avril 2026 : Théâtre du Crochetan, Monthey (Suisse).
21 avril 2026 : Théâtre de Beausobre, Morges (Suisse).
23 avril 2026 : Théâtre, Aix-les-bains (73).
25 avril 2026 : Théâtre Théo Argence, Saint-Priest (69).
28 avril 2026 : Théâtres en Dracénie, Draguignan (83).
Mai/juin 2026 : Théâtre de l'atelier, Paris.

Bruno Fougniès
Vendredi 14 Mars 2025

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