La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Boule de Suif"… Narration dans l'action !

Dans son seul en scène, André Salzet nous fait revivre "Boule de Suif". Au travers d'une présence physique remarquable où le verbe de Maupassant accompagne les lieux et les événements, le comédien allie avec bonheur littérature et théâtre.



© Michel Paret.
© Michel Paret.
Une table côté jardin, un homme au milieu pour un monologue. Celui de "Boule de Suif" (1880), nouvelle de Maupassant (1850-1892) qui l'a lue la première fois devant ses amis du groupe de Médan dans la demeure de Zola qui réunissait aussi, autour de lui, Paul Alexis, Marius Roux (ami d'enfance de Zola), Léon Hennique, Henri Céard et Joris-Karl Huysmans. C'est par ce chef-d'œuvre, réuni avec d'autres nouvelles dans "Les soirées de Médan", qu'il s'est imposées et a été considéré comme un maître de ce genre littéraire. Il a fallu juste une décennie pour que Maupassant marque de son empreinte la littérature, au travers aussi de ses romans qui sont restés dans la postérité.

Pour cette nouvelle qui est mise en scène par Sylvie Blotnikas et adaptée en compagnie d'André Salzet, il est mêlé des descriptions aux dialogues. Cet aspect est même un élément important. On y retrouve des passages descriptifs autant du contexte que des personnages. Ainsi, la trame est posée avant que ces derniers n'interviennent, à l'inverse du théâtre dit classique où ceux-ci se découvrent d'abord en portant avec eux le contexte et l'action.

© Michel Paret.
© Michel Paret.
Le débit de la voix d'André Salzet est posé, la gestuelle accompagne la narration sans excès. Il y a une vraie présence physique du comédien qui incarne un narrateur pour se glisser ensuite dans chacun des protagonistes, autant féminins que masculins. Autant révolutionnaire que conservateur, bourgeois que noble, républicain que prostituée, athée que croyant, les différents visages qui composent cette galerie prennent une dimension aussi de sous-texte, incarné par les attitudes qui montrent leurs figures, pour beaucoup, hypocrites. Seule Élisabeth Rousset, alias Boule de Suif, est digne, honorable, à l'âme résistante et aussi sacrificielle face à l'ennemi allemand, et ce, afin de sauver ses congénères.

Sur cette ligne de crête, André Salzet bascule d'un personnage à un autre l'espace d'un instant pour s'y plonger et y puiser une voix, une attitude, un comportement. Ainsi, il est dans un rôle omniscient avant même que les événements ne se déroulent. Ces bascules rapides pour revenir ensuite au récit séquencent le monologue dans une narration où se glissent un contexte, celui d'un voyage, puis des lieux, ceux d'une diligence et de l'auberge de Tôtes et enfin une situation, celle d'un enfermement. Ainsi, sur ces trois axes qui mêlent action et contemplation, paix et guerre, passivité et résistance, le jeu d'André Salzet allie toujours le calme du récit, pour par intermittence revêtir l'humeur d'un ou plusieurs personnages.

Nous sommes dans un récit qui devient parlé où le verbe construit les caractères. Ainsi, dans ce théâtre "inversé", même si la présence du comédien plante autant les lieux, le contexte que les situations, il n'y a pas de mouvements créateurs d'événements, car il ne peut y avoir d'interaction physique entre les protagonistes. Ce qui fait l'essence même du monologue.

Cette création est dans un rapport constant à la littéralité de l'œuvre où phrases humoristiques et ironiques sont mises en exergue et fait du style de l'auteur un élément essentiel à la représentation. Comme si Maupassant en était aussi le narrateur sur scène.

"Boule de Suif"

© Michel Paret.
© Michel Paret.
Texte : Guy de Maupassant.
Adaptation : André Salzet et Sylvie Blotnikas.
Mise en scène : Sylvie Blotnikas.
Avec : André Salzet.
Création Lumières : Ydir Acef.
Musique : César Franck.
Production : Compagnie Carpe Diem, Argenteuil.
Coréalisation : Théâtre Lucernaire.
Durée : 1 h.

Du 29 juin au 21 août 2022.
Du mercredi au samedi à 19 h, dimanche à 15 h 30.
Théâtre Lucernaire, Paris 6e, 01 45 44 57 34
>> lucernaire.fr

Safidin Alouache
Samedi 20 Août 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024