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Théâtre

"Astrid ou l'Acerbe Comédie" Épées et alexandrins bien capés !

Dans une superbe création où se retrouvent chevaliers, marquis, roi et paysans, Marc Tournebœuf réussit le tour de force de redonner à l'alexandrin, force et vitalité, dans une écriture qui mêle avec élégance, actions et humour.



© Isabelle Poirette.
© Isabelle Poirette.
"Astrid ou l'Acerbe Comédie" a pour trame un espace-temps où un roi brise les codes politiques. Choisit-on son destin quand on est fils de roi ? Le contemporain ou une résonance avec l'actualité ne sont pas convoqués, même si jalousie, meurtre, amour, guerre et pouvoir sont les ingrédients explosifs de cette création. Ces passions universelles bousculent et animent les âmes humaines et ont toujours trouvé écho dans les grandes œuvres. Car tout est explosif, la monotonie est bottée en touche et le jeu, plus que physique des comédiens, est souvent en tension.

C'est aussi à une autre écriture que nous sommes conviés, celle de Marc Tournebœuf, tout en Alexandrin, comme si nous remontions le temps avec, entre autres, Rostand (1868-1918), Racine (1639-1699), Corneille (1606-1684) et Molière (1622-1673) où les vers florissaient sur les planches de théâtre. C'est aussi une autre époque qui est conviée, celle de ses chevaliers. Toutefois, aucune indication n'est donnée sur la période et le lieu où se déroule la fable.

© Isabelle Poirette.
© Isabelle Poirette.
Ils sont douze comédiens pour incarner cinquante-deux personnages. Ce concentré de caractères donne lieu aussi à un concentré d'actions. Il y a des scènes de meurtres, de capes et d'épées, d'auberge avec des chants et quelques beuveries. Le comique ne chôme pas non plus. Il nourrit quasiment toute la pièce. L'humour succède à l'amour qui succède aux combats qui, eux-mêmes, succèdent aux manigances.

Pas ou peu de temps morts. Ou quand il y en a, c'est plutôt un autre rythme qui est adopté, celui de l'épanchement amoureux, du doute et de la réflexion, tels des interludes aux tableaux beaucoup plus physiques que sont les conflits et les manigances. Le rythme est ainsi très bien agencé avec ces respirations créant une dichotomie entre le corps et l'esprit, l'épée et la tête, le combat et la passion.

Car d'amour, contrarié toutefois, il en est question entre Erell (Damien Bellard), fils du feu roi dont il doit assurer la succession, et Astrid (Clémentine Aussourd), étrangère à toute considération politique, de même qu'à la passion du jeune Erell. Un moment d'ailleurs particulièrement comique nous le dévoile quand Astrid raconte, de façon un peu désespérée, à son amoureux dépité la mise en scène qu'il lui a concoctée pour la séduire. Et où rien ne s'est déroulé comme prévu.

© MS.
© MS.
Les personnages sont hauts en couleur. Au-delà de leur caractère, de leurs rôles respectifs, de leurs costumes, c'est aussi leur voix qui est un élément différenciant. Cela est très tranché. Il n'y a aucune demi-mesure, ni dans les dialogues, ni dans les tableaux. Du théâtre dans le théâtre est aussi utilisé avec la mort du régisseur de la Comédie Bastille par un des protagonistes un tantinet, et c'est peu dire, psychopathe.

Le texte est fort bien écrit, tout en Alexandrin. L'auteur, mais aussi metteur en scène et comédien, est Marc Tournebœuf qui réussit l'exploit de porter cette triple casquette avec un vrai talent dans ces différents registres. Il a créé et monté une pièce en se fichant de contraintes artistiques. Comme quoi le talent, quand il est conscient de ce qu'il est, peut tout emporter sur son passage !

"Astrid ou l'Acerbe Comédie"

© MS.
© MS.
Texte : Marc Tournebœuf.
Metteur en scène : Marc Tournebœuf.
Avec : Clémentine Aussourd, Ronan Bacikova, Damien Bellard, Pierre Besson, Basile Alaïmalaïs ou Pierre Thorrignac, Romain Company, Sébastien Giacomoni, Julia Mevel, Jeanne Pajon, Jean-Philippe Renaud, Alexiane Torrès ou Fiona Levy, Marc Tourneboeuf ou Baptiste Carrion-Weiss.
Durée : 1 h 40.

Du 15 septembre 2021 au 11 mai 2022.
Le mercredi à 21 h.
Comédie Bastille, Paris 11e, 01 48 07 52 07.
>> comedie-bastille.com

Safidin Alouache
Mercredi 23 Mars 2022

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© Pics.
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C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

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Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

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La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

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15/09/2023