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Théâtre

"Arletty, un cœur très occupé" Une relation amoureuse contrariée où se dévoile la liberté d'être et de penser

Juillet 1970. Un jeune journaliste, séduisant et sûr de lui, force Arletty, furieuse, à relire les courriers qu'elle a échangés pendant la guerre avec son bel officier allemand de dix ans de moins qu'elle, Hans Jürgen Soehring. Il est parvenu à pénétrer chez la célèbre comédienne en ayant malicieusement forcé la porte… Leur relation évoluera progressivement en mettant en lumière des instants à la fois historiques et intimes que la presse de l'époque a bien trop souvent falsifiés. Plus de six cents lettres intimes qui semblent ignorer la guerre. Une passion dévorante et exaltante.



© Benoit Delpech.
© Benoit Delpech.
Toute de blanc vêtue, svelte et très élégante dans un splendide tailleur-pantalon, Arletty, interprétée avec justesse par Béatrice Costantini, entre sur le plateau représentant un joli salon bien soigné. Blanc lui aussi. Rapidement, un second personnage y fait irruption : un jeune homme intrépide qui prend des photos avec énormément de culot.

Ce journaliste, c'est François Nambot, un jeune comédien qui occupe la place avec une grande sincérité de jeu. Arletty a 72 ans, mais apparaît toujours aussi anticonformiste et vivant au gré de ses envies. Assez vite, au fil du spectacle, sa carapace de femme offusquée par l'intrusion de cet inconnu dans son salon se brise et elle va se révéler progressivement plus docile et peut-être encore amoureuse…

La relation subtile entre ces deux êtres est joliment éprouvée par la comédienne Béatrice Costantini dont on connaît la carrière exceptionnelle. Son interprétation d'Arletty est juste et savamment raffinée : des gestes mesurés aux allures de mannequin, un regard perçant qui transmet justement des émotions sincères et surtout une voix à se confondre avec celle de la comédienne, gouailleuse et mythique. Sans parler de son humour vif et bien présent qui fait souvent sourire, notamment quand elle s'adresse au jeune journaliste en le critiquant gentiment.

© Benoit Delpech.
© Benoit Delpech.
Le texte de Jean-Luc Voulfow, remarquablement écrit, est porté avec élégance par le duo de comédiens. Il est inspiré de la correspondance éditée au Cherche Midi et intitulée "Hélas, je t'aime".

Béatrice Costantini n'interprète pas Arletty. Elle est Arletty ! Sa silhouette fine et menue rend la grande Arletty plus fragile qu'elle semblait vouloir paraître et l'évolution de son personnage est progressivement sensible, extrêmement juste, notamment dans la scène finale où le spectateur ressent un torrent d'émotions, face à une femme vacillante semblable à une enfant troublée et émue.

Derrière la seule relation amoureuse contrariée Faune et Biche, la pièce aborde aussi plus subtilement d'autres thèmes comme la liberté d'être et de penser, la sexualité, le voyeurisme, l'hypocrisie. En un mot, une pièce profondément humaniste.

Certes, il s'agit d'une pièce romantique, mais l'écriture et l'interprétation des deux comédiens lui donnent à certains moments d'autres aspects.

"Arletty, un cœur très occupé"

Texte : Jean-Luc Voulfow.
Mise en scène : François Nambot.
Avec : Béatrice Costantini et François Nambot.
Lumières : Jacques Rouveyrollis.
Durée : 1 h 15.

Du 3 octobre au 28 décembre 2024.
Jeudi, vendredi et samedi à 19 h.
Théâtre des Mathurins, Paris, 01 42 65 90 00.
>> theatredesmathurins.com

Brigitte Corrigou
Mardi 1 Octobre 2024

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