La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2024

, •Off 2024• "Dom Juan… et les clowns" Un Molière vu à travers le regard hilare de Mario Gonzalez et la maîtrise complice d'Irina Brook

Les clowns, tels que nous les connaissons, n'existaient pas vraiment du temps de Molière. Ce sont des personnages qui ne lui auraient certainement pas servi puisque les caractères de Molière, tous excessifs et caricaturaux qu'ils puissent être, sont avant tout pris dans la réalité. Les clowns ont une dimension onirique qui nuirait, on peut le penser, au projet de l'auteur comique.



© Éric Michot.
© Éric Michot.
Et pourtant, le travail, effectué dans un premier temps par Mario Gonzalez (réputé pour son talent dans l'art du masque) puis, par la suite, par Irina Brook qui a repris la mise en scène du spectacle, est par moments sidérant de vérité, de sens.

Autour de Dom Juan, toute une ribambelle de personnages se croisent et se positionnent au sujet du seigneur méchant homme. La pièce de Molière est construite comme une déambulation des deux personnages principaux, Dom Juan et Sganarelle, son fidèle serviteur, une déambulation durant laquelle ils vont rencontrer toutes sortes de gens qui vont du noble aux paysans en passant par les pieux ermites, les usuriers et les spectres. Bref, toute une société respectueuse de lois divines et humaines qui leur ôte, aux yeux du libertin, toute liberté d'agir et de penser.

Dans cette pièce, Dom Juan traverse un monde de clowns tous un peu ridicules. C'est un peu comme si toute la pièce était focalisée sur le point de vue de Dom Juan, comme si, effectivement, ce dernier voyait tous ses contemporains comme des clowns ridicules. Clown, Sganarelle, clowns le commandeur et les vengeurs de celui-ci, clowns les paysannes, les paysans, clown son père, clowns, Elvire. Seul au milieu des clowns.

© Cie Miranda.
© Cie Miranda.
Et cela marche. Sganarelle est le meilleur client pour un Auguste naïf, bavard et agité. Son personnage raisonneur, lâche et maladroit est à peine changé par le port d'un nez rouge (nez qu'on imagine aisément comme rougeur dû à l'excès de boisson alcoolisée). Les paysannes, Charlotte et Mathurine, et le paysan Piarrot, sont aussi plus vraies que nature dans les excès clownesques où ils sont, soudain, surdimensionnés. Les autres, à l'avenant. Cela fonctionne à merveille. Cela donne des moments de rires et de fous rires formidables. Cela donne également parfois des fulgurances qui apportent encore plus de sens à la pièce.

On rit beaucoup. Les sept interprètes qui (sauf pour les deux principaux rôles) jouent plusieurs personnages chacun ont fait un travail rigoureux, précis et parlant du corps, de la voix et du geste. On y reconnaît la patte de Mario Gonzalez. La mise en scène d'Irina Brook, qui installe toute l'aventure au centre d'un cercle, symbole de la piste de chapiteaux, donne un rythme haletant au spectacle. Elle y ajoute des moments chantés et une liberté de parole aux comédiens qui instaurent un vrai dialogue avec le public, quitte à chambouler les alexandrins du texte original.

Alors les puristes de l'œuvre de Molière seront peut-être choqués, mais, à y bien regarder, l'esprit de ce dernier est bien vivant, là, dans cette farce qu'est la vie pour le personnage de Dom Juan. Une farce faite d'hypocrisie, de lâcheté, de bêtise, de naïveté, de faux honneurs. Oh oui, le texte de Molière reste bien corrosif ici lorsque tous ceux qui croient au Ciel, à la Vertu, et à tous les principes moraux édictés par l'Église et les lois sont des clowns.

© Gaelle Simon.
© Gaelle Simon.
Je n'ai qu'un seul pincement au cœur, pour le personnage d'Elvire, dont le clown, ici, n'est ni poétique, ni fragile comme il aurait pu être, mais grotesque. Vu un peu comme une désagréable mégère. Mais on peut imaginer Dom Juan la voir ainsi.

Quoi qu'il en soit, rien ne manque de ce que Molière a voulu mettre dans sa pièce : des intentions provocatrices, politiques et grinçantes. La mise en scène d'Irina Brook et le travail de Mario Gonzalez y ajoutant encore plus d'humour, de dérision, de loufoquerie. Et il faut rendre hommage au jeu des comédiennes et des comédiens qui portent ce projet, tous excellents, tous effroyablement drôles.
◙ Bruno Fougniès

"Dom Juan… et les clowns"

Texte : Molière.
Mise en scène : Irina Brook, à partir d'un premier travail de Mario Gonzalez.
Avec : Thierry Surace, Jérôme Schoof, Sylvia Scantamburlo, Jessica Astier, Julien Faure, Cécile Guichard/Armony Bellanger en alternance, Thomas Santarelli.
Décor et costumes : Théâtre National de Nice - CDN Nice Côte d'Azur.
Compagnie Miranda.
Coproduction : Théâtre de la Cité/Nice.
Durée : 1 h 20.
À partir de 8 ans.

•Avignon Off 2024•
Du 29 juin au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 20 h 25. Relâche le mardi.
Espace Roseau Teinturiers, 45, rue des Teinturiers, Avignon.
Réservations : 04 84 51 26 44.
>> espaceroseauteinturiers.fr

Bruno Fougniès
Samedi 13 Juillet 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024