Convoquant plusieurs tonalités à première vue paroxystiques comme l'humour débridé et la gravité dramatique, plusieurs registres composites d'écritures comme le chant choral, les percussions musicales et le jeu théâtral, plusieurs approches scéniques comme le théâtre "en train de se faire" et les tableaux très construits, l'autrice et metteuse en scène réussit l'exploit d'en réaliser une synthèse fluide au service d'un projet subtilement politique…
Questionner, au travers d'une forme théâtrale surprenante, le poids de nos origines. Quel avenir pour celles et ceux qui se ressentent filles ou fils de personne, privés de leurs origines et de leurs terres ? Peuvent-ils encore se sentir aimés et aimer eux-mêmes ? Des questions récurrentes traversant les siècles et qui, au-delà de leurs dimensions individuelles, interrogent l'organisation socio-politique des sociétés, la nôtre notamment.
Le tableau d'ouverture s'apparente à une douce farce où un soldat, arrivé au pas de l'oie, dérive, casque aux oreilles et musique le faisant se déhancher, vers une interprétation loufoque de l'histoire d'Antigone. En un précipité savoureux de paroles débitées à allure de TGV, sorte d'"Histoire d'Antigone pour les Nuls", on y apprend que Jocaste, la mère-femme d'Œdipe, sans complexe pour faire oublier l'histoire glauque de son alliance incestueuse, même si c'était là le fruit d'un malentendu (mâle attendu ?), avait demandé à Polynice (fils d'Œdipe et d'elle, Jocaste, et frère d'Etéocle, d'Ismène et d'Antigone !) de quitter au plus vite Thèbes…
… mais la Reine ne supportant plus l'ignominie s'est pendue, une façon de mettre fin à tout remords. Et là, le soldat conclut d'un cocasse : "ça fait beaucoup d'informations, je sais.". Le même soldat – celui dont les jours sont comptés, voir la suite – se fendra avant de disparaître d'une adresse au public, mi-drôle, mi-tragique : "Polynice exige son retour, ça va créer problème, la guerre ça fait beaucoup de morts… Je souhaite m'adresser aux générations futures : je vous conjure de nous pardonner".
Questionner, au travers d'une forme théâtrale surprenante, le poids de nos origines. Quel avenir pour celles et ceux qui se ressentent filles ou fils de personne, privés de leurs origines et de leurs terres ? Peuvent-ils encore se sentir aimés et aimer eux-mêmes ? Des questions récurrentes traversant les siècles et qui, au-delà de leurs dimensions individuelles, interrogent l'organisation socio-politique des sociétés, la nôtre notamment.
Le tableau d'ouverture s'apparente à une douce farce où un soldat, arrivé au pas de l'oie, dérive, casque aux oreilles et musique le faisant se déhancher, vers une interprétation loufoque de l'histoire d'Antigone. En un précipité savoureux de paroles débitées à allure de TGV, sorte d'"Histoire d'Antigone pour les Nuls", on y apprend que Jocaste, la mère-femme d'Œdipe, sans complexe pour faire oublier l'histoire glauque de son alliance incestueuse, même si c'était là le fruit d'un malentendu (mâle attendu ?), avait demandé à Polynice (fils d'Œdipe et d'elle, Jocaste, et frère d'Etéocle, d'Ismène et d'Antigone !) de quitter au plus vite Thèbes…
… mais la Reine ne supportant plus l'ignominie s'est pendue, une façon de mettre fin à tout remords. Et là, le soldat conclut d'un cocasse : "ça fait beaucoup d'informations, je sais.". Le même soldat – celui dont les jours sont comptés, voir la suite – se fendra avant de disparaître d'une adresse au public, mi-drôle, mi-tragique : "Polynice exige son retour, ça va créer problème, la guerre ça fait beaucoup de morts… Je souhaite m'adresser aux générations futures : je vous conjure de nous pardonner".
Le rideau s'ouvre et on est précipité sans transition dans l'antichambre d'un bureau de l'Aide Sociale à l'Enfance. Là une dame explique doctement qu'au nom du principe supérieur de protection de l'enfant ne devant pas être éloigné de la zone géographique où réside sa mère biologique, serait-elle en HP et en incapacité notoire de s'occuper de sa fille née d'un viol, la très jeune Éden va être retirée au couple devant déménager dans une autre ville… Drame insoutenable d'une violence institutionnelle faite à cette famille d'accueil aimante – de plus accusée de par son investissement affectif de créer un conflit de loyauté chez la petite Eden – qui se voit annoncer brutalement qu'un référent viendra chercher à l'école la fillette, pour la conduire provisoirement dans un foyer… avant de trouver une autre famille d'accueil.
Antigone et Éden, deux destins féminins contrariés par la loi implacable des hommes, deux jeunes femmes malmenées réunies sur le même plateau où un chant choral en arabe s'élève mélodieusement accompagné de percussions légères, paysage sonore salutaire ouvrant potentiellement sur d'autres espaces de violences contemporaines, celles faites aux Palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie, territoires occupés. Sur une passerelle-échafaudage poussée à vue au centre de la scène, Créon va-t-en-guerre (interprété superbement par une actrice, les femmes aussi peuvent être des tyrans pour leur peuple) exhorte Etéocle à exterminer la menace que ferait peser sur la cité le retour annoncé de Polynice, devenu l'étranger, en raillant ouvertement les tendances pacifistes de son neveu Etéocle (toute ressemblance avec des situations actuelles, etc.).
Antigone et Éden réunies encore dans un fondu enchainé montrant d'une part l'une se contorsionnant en se prenant la tête sous l'effet du duel fratricide opposant Etéocle et Polynice "le rebelle", et, d'autre, part faisant entendre en voix off une voix féminine traitant Éden de méchante petite fille alors qu'elle se tape la tête contre les murs.
Antigone et Éden, deux destins féminins contrariés par la loi implacable des hommes, deux jeunes femmes malmenées réunies sur le même plateau où un chant choral en arabe s'élève mélodieusement accompagné de percussions légères, paysage sonore salutaire ouvrant potentiellement sur d'autres espaces de violences contemporaines, celles faites aux Palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie, territoires occupés. Sur une passerelle-échafaudage poussée à vue au centre de la scène, Créon va-t-en-guerre (interprété superbement par une actrice, les femmes aussi peuvent être des tyrans pour leur peuple) exhorte Etéocle à exterminer la menace que ferait peser sur la cité le retour annoncé de Polynice, devenu l'étranger, en raillant ouvertement les tendances pacifistes de son neveu Etéocle (toute ressemblance avec des situations actuelles, etc.).
Antigone et Éden réunies encore dans un fondu enchainé montrant d'une part l'une se contorsionnant en se prenant la tête sous l'effet du duel fratricide opposant Etéocle et Polynice "le rebelle", et, d'autre, part faisant entendre en voix off une voix féminine traitant Éden de méchante petite fille alors qu'elle se tape la tête contre les murs.
Et l'action aux multiples péripéties se précipitant, on passera continûment du sort de l'une à l'autre, reflets en miroir d'une même problématique : trouver sa voix dans le concert des non-dits emmurant chacune dans un lieu où elle n'est pas, un lieu qui lui fait porter une responsabilité qui n'est pas la sienne.
Ainsi d'Etéocle et de Polynice, les frères rendus ennemis par des enjeux qui ne sont pas non plus les leurs, manipulés qu'ils sont par les discours guerriers d'un Créon Benyamin Netanyahu d'extrême droite déversant sa haine belliqueuse… sur fond du bruit d'un ballon de baudruche se dégonflant lentement, faisant entendre en contrepoint son gazouillement léger.
Ainsi d'Éden, fantasmant des parents universitaires restés à San Francisco pour s'inventer une famille idéale, elle, abandonnée par la société qui se dit vouloir son bien en la déplaçant de famille en famille. Tableau grotesque et dramatique, de l'alignement des enfants d'une famille d'accueil "comme il faut" se moquant à s'en étouffer d'Éden, "singée" littéralement pour la couleur de sa peau.
Le chant et la musique étant les seules choses qui survivent lorsque tout s'écroule autour de vous, des intermèdes interprétés en live permettent de reprendre notre respiration… Avant que, conséquence de la folie guerrière du Roi Créon avide de gloire, un déluge de feu et de sang ne tombe des cintres sous forme d'une pluie de paillettes rouges, ensevelissant Polynice et Etéocle réunis dans la mort. Et comme personne – même celles qui sont les "filles de personne" – n'est sensé pouvoir échapper au fatum des Anciens, on s'achemine vers l'accomplissement du destin implacable…
Mais ce serait sans compter sur la force de conviction de la metteuse en scène et de sa troupe faisant chorus autour d'elle… Suite à des scènes d'une beauté brillant comme un soleil noir accroché au pic des cruautés à l'œuvre, Antigone s'étant dévêtue de la dépouille de Polynice et Éden dépouillée d'enjeux qui ne sont plus les siens, la jeune fille accouchant d'elle-même dans un tableau d'une violence inouïe, les jeunes femmes vont trouver les mots l'une et l'autre… Des mots pour ne plus se "Taire", pour dire, pour se dire.
Quant à l'ultime tableau les mettant en dialogue, il ouvre grand sur l'espace de l'amour, cet antidote à la folie guerrière exterminatrice des hommes… "Spectacle" beau et fort, à prendre de toute urgence comme contrepoison essentiel aux violences contemporaines.
◙ Yves Kafka
Vu le mercredi 23 juillet 2025 à La Fabrica d'Avignon.
Ainsi d'Etéocle et de Polynice, les frères rendus ennemis par des enjeux qui ne sont pas non plus les leurs, manipulés qu'ils sont par les discours guerriers d'un Créon Benyamin Netanyahu d'extrême droite déversant sa haine belliqueuse… sur fond du bruit d'un ballon de baudruche se dégonflant lentement, faisant entendre en contrepoint son gazouillement léger.
Ainsi d'Éden, fantasmant des parents universitaires restés à San Francisco pour s'inventer une famille idéale, elle, abandonnée par la société qui se dit vouloir son bien en la déplaçant de famille en famille. Tableau grotesque et dramatique, de l'alignement des enfants d'une famille d'accueil "comme il faut" se moquant à s'en étouffer d'Éden, "singée" littéralement pour la couleur de sa peau.
Le chant et la musique étant les seules choses qui survivent lorsque tout s'écroule autour de vous, des intermèdes interprétés en live permettent de reprendre notre respiration… Avant que, conséquence de la folie guerrière du Roi Créon avide de gloire, un déluge de feu et de sang ne tombe des cintres sous forme d'une pluie de paillettes rouges, ensevelissant Polynice et Etéocle réunis dans la mort. Et comme personne – même celles qui sont les "filles de personne" – n'est sensé pouvoir échapper au fatum des Anciens, on s'achemine vers l'accomplissement du destin implacable…
Mais ce serait sans compter sur la force de conviction de la metteuse en scène et de sa troupe faisant chorus autour d'elle… Suite à des scènes d'une beauté brillant comme un soleil noir accroché au pic des cruautés à l'œuvre, Antigone s'étant dévêtue de la dépouille de Polynice et Éden dépouillée d'enjeux qui ne sont plus les siens, la jeune fille accouchant d'elle-même dans un tableau d'une violence inouïe, les jeunes femmes vont trouver les mots l'une et l'autre… Des mots pour ne plus se "Taire", pour dire, pour se dire.
Quant à l'ultime tableau les mettant en dialogue, il ouvre grand sur l'espace de l'amour, cet antidote à la folie guerrière exterminatrice des hommes… "Spectacle" beau et fort, à prendre de toute urgence comme contrepoison essentiel aux violences contemporaines.
◙ Yves Kafka
Vu le mercredi 23 juillet 2025 à La Fabrica d'Avignon.
"Taire"
Texte : Tamara Al Saadi.
Mise en scène : Tamara Al Saadi.
Assistante à la mise en scène : Joséphine Levy.
Avec : Manon Combes, Ryan Larras, Mohammed Louridi, Éléonore Mallo, Bachar Mar-Khalifé, Fabio Meschini, Chloé Monteiro, Mayya Sanbar, Tatiana Spivakova, Ismaël Tifouche Nieto, Marie Tirmont, Clémentine Vignais.
Collaboration artistique : Justine Bachelet.
Scénographie : Tamara Al Saadi et Jennifer Montesantos.
Création sonore et musicale : Éléonore Mallo, Bachar Mar-Khalifé, Fabio Meschini.
Création lumière : Jennifer Montesantos.
Chorégraphie : Sonia Al Khadir.
Costumes : Pétronille Salomé.
Régie générale : Jennifer Montesantos et Nicolas Balladur.
Assistante création son et régie son : Arousia Ducelier.
Assistante création lumière et régie lumière : Elsa Sanchez.
Régie plateau : Sixtine Lebaindre.
Assistante création costumes : Irène Jolivard.
Décor : Ateliers Contrevent.
Durée : 2 h 10.
Spectacle créé en janvier 2025 au Théâtre Dijon Bourgogne – CDN.
•Avignon In 2025•
Du 21 au 23 juillet 2025.
Représenté à 13 h.
La Fabrica, Avignon.
Billetterie en ligne
>> festival-avignon.com
Tournée
30 septembre au 4 octobre 2025 : Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence (13).
7 et 8 octobre 2025 : Théâtre Joliette - scène conventionnée, Marseille (13).
2 décembre 2025 : Théâtre du Fil de l'Eau, Pantin (93).
25 au 27 février 2026 : Théâtre national Bordeaux-Aquitaine – CDN, Bordeaux (33).
12 mars 2026 : Théâtre La Colonne - Scènes et Cinés, Miramas (13).
18 mars 2026 : Théâtre La Passerelle - Scène nationale, Gap (05).
1er et 2 avril 2026 : MC2 Maison de la Culture, Grenoble (38).
9 avril 2026 : Théâtre de Rungis (94).
Mise en scène : Tamara Al Saadi.
Assistante à la mise en scène : Joséphine Levy.
Avec : Manon Combes, Ryan Larras, Mohammed Louridi, Éléonore Mallo, Bachar Mar-Khalifé, Fabio Meschini, Chloé Monteiro, Mayya Sanbar, Tatiana Spivakova, Ismaël Tifouche Nieto, Marie Tirmont, Clémentine Vignais.
Collaboration artistique : Justine Bachelet.
Scénographie : Tamara Al Saadi et Jennifer Montesantos.
Création sonore et musicale : Éléonore Mallo, Bachar Mar-Khalifé, Fabio Meschini.
Création lumière : Jennifer Montesantos.
Chorégraphie : Sonia Al Khadir.
Costumes : Pétronille Salomé.
Régie générale : Jennifer Montesantos et Nicolas Balladur.
Assistante création son et régie son : Arousia Ducelier.
Assistante création lumière et régie lumière : Elsa Sanchez.
Régie plateau : Sixtine Lebaindre.
Assistante création costumes : Irène Jolivard.
Décor : Ateliers Contrevent.
Durée : 2 h 10.
Spectacle créé en janvier 2025 au Théâtre Dijon Bourgogne – CDN.
•Avignon In 2025•
Du 21 au 23 juillet 2025.
Représenté à 13 h.
La Fabrica, Avignon.
Billetterie en ligne
>> festival-avignon.com
Tournée
30 septembre au 4 octobre 2025 : Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence (13).
7 et 8 octobre 2025 : Théâtre Joliette - scène conventionnée, Marseille (13).
2 décembre 2025 : Théâtre du Fil de l'Eau, Pantin (93).
25 au 27 février 2026 : Théâtre national Bordeaux-Aquitaine – CDN, Bordeaux (33).
12 mars 2026 : Théâtre La Colonne - Scènes et Cinés, Miramas (13).
18 mars 2026 : Théâtre La Passerelle - Scène nationale, Gap (05).
1er et 2 avril 2026 : MC2 Maison de la Culture, Grenoble (38).
9 avril 2026 : Théâtre de Rungis (94).