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Théâtre

Un bourgeois d'anthologie... au cœur de la compréhension du baroque et déjà dans la modernité

"Le Bourgeois Gentilhomme", Théâtre des Bouffes du Nord, Paris

Monsieur Jourdain vêtu de somptueux habits s’essaye au port de gentilhomme, à la vie de cour. Dans la version de Denis Podalydès, le bourgeois gentilhomme s’exerce au sein de son propre atelier. Celui-ci est parfaitement en ordre avec tous ses lés de tissus, ses rouleaux, sa table de coupe, ses squelettes de fauteuils à l’étage en attente de finition. Dans cette maison, on a le goût du tissu et du travail bien fait. Cet espace, avec ses moyens, va progressivement devenir le lieu de représentation de spectacle vivant. De théâtre danse. De comédie ballet.



© Pascal Victor - ArtComArt.
© Pascal Victor - ArtComArt.
Monsieur Jourdain expérimente un programme d’éducation dont les règles de base sont simples. Apprendre l’escrime, la musique, la danse, la syntaxe, le bien parler… la comédie. Acquisition de la vélocité. Éprouvé, ce programme hérité des précieuses a mis à vif les nerfs de plus d’un noble. Ils ont tous ri aux dépens de l’un des leurs. Se moquer, ils savent. C’est le tour du bourgeois.

Madame Jourdain admoneste son mari pour ses ridicules prétentions et lui rappelle combien il finance trop, beaucoup trop les marquis impécunieux. Monsieur bat Madame.

Le spectateur est bien aux premières loges pour assister aux scènes d’un ménage qui finit en farce de coalition contre le père de famille. En apothéose.

Replacées dans le contexte, elles prennent la forme d’un hommage appuyé au grand père de Molière, tapissier qui aimait le théâtre, était de ces bourgeois de Paris qui ont aidé et financé le grand père de Louis XIV, Henri IV. Cet Henri IV justement pour laquelle monsieur Jourdain éprouve une réelle tendresse, déboussolé qu’il est, devant l’évolution des mœurs de la cour. Molière soutient implicitement la cause d’une noblesse du travail et peut être un paradis perdu .

© Pascal Victor - ArtComArt.
© Pascal Victor - ArtComArt.
Dans la logique du jeu théâtral, cette pièce révèle ainsi la proximité de Louis XIV et de son maître farceur. Quand il faut adopter un mode de polissage de la noblesse à la vie de cour, leur complicité dans le rire est totale. Et la nature du rire désigne qui fait vraiment tapisserie, qui est du côté de la gouvernance. Rira bien, parmi les spectateurs, qui rira le dernier. Le roi a son farceur et son farceur est le plus souple des courtisans qui sait danser et éviter les coups de bâton.

L’unité de lieu telle qu’elle est proposée par Denis Podalydès est une véritable intuition créatrice. Et la manière dans la mise en scène, à l’instar d’une mise en abyme, donne sens à toutes les instances du texte vers lesquelles convergent en toute cohérence tous ses éléments esthétiques.

L’objet théâtral de Denis Podalydès est précieux. Il fixe l’œuvre de Molière dans l’univers baroque (que des pionniers comme Jordi Savall, Francine Lancelot, Benjamin Lazar ont contribué à faire redécouvrir) Elle tient compte du public et se caractérise dans sa modernité par la vivacité et la fluidité des enchaînements entre la danse, le jeu, la musique. Jamais plaqués, glissant l’un sur l’autre sans heurts de la comédie à la danse par l’entremise de la musique et de la farce. Celle-ci porté par Pascal Rénéric est toujours pleine d’adresse, de grâces et de roueries. Dans les adresses au public, comme autant de clins d’œil, elle nourrit le rire et la poésie comme le font les clowns et donne du relief à tous les signes donnés.

Croquis pour le costume de Monsieur Jourdain © Christian Lacroix.
Croquis pour le costume de Monsieur Jourdain © Christian Lacroix.
Ceux-ci sont riches dans tous les sens du terme.

Christian Lacroix avec ses costumes somptueux développe une réflexion sur l’art du tissu et de l’illusion qu’il procure. De la broderie surchargée au simple plissé, le vêtement de scène fonde le caractère de celui qui le porte, facilite et amplifie le jeu. Où quand l’extrême richesse d’une basque développe une vanité des vanités et l’oripeau le vivant et sa couleur du bonheur. La scène du sacre du Mamamouchi, par son inventivité et sa cohérence, sa vraisemblance interne, est à cet égard réellement étonnante.

Les personnages, portés par des comédiens avec leurs personnalités fortes et pourtant comme imprégnés du tempérament du metteur en scène, vivent une forme d’abstraction rêveuse que les musiciens impliqués dans l’action tirent soit vers la brillance, la pompe et la gaité de Lully, soit les tonalités plus sombres, plus archaïques du caractère que procurent les discrètes insertions de Delalande, Couperin ou Telemann.

La danse, elle, débridée, emprunte à toutes les traditions y compris contemporaines ou circassiennes et réconcilie tous les genres. De la bastonnade au mime, au menuet et autres contorsions, le final est éblouissant.

© Pascal Victor - ArtComArt.
© Pascal Victor - ArtComArt.
Cette présentation dégage une forme de force et de quiétude intérieure. Assurément, au sein de cette manufacture, on peut s’essayer en gentilhomme, battre sa femme et subir la farce de ses proches en toute vraisemblance. C’est pourquoi dans cette mise en scène l’on peut rire sans gêne, sans moquerie, sans outrance.

Ce "bourgeois gentilhomme", dans sa dimension complète de comédie ballet, est au cœur de la compréhension du baroque et pleinement ouvert sur le monde contemporain. Homogène et contrasté, il est une joie pour le spectateur. Et les enfants, leurs parents sont éblouis par la simplicité, la beauté, la densité de la représentation et rient bonnement. Un bourgeois d’anthologie à conserver dans les mémoires des familles.

"Le Bourgeois Gentilhomme"

Denis Podalydès © Pascal Victor - ArtComArt.
Denis Podalydès © Pascal Victor - ArtComArt.
Comédie-ballet de Molière.
Musique : Lully.
Mise en scène : Denis Podalydès, Sociétaire de la Comédie Française.
Direction musicale : Christophe Coin.
Scénographie : Éric Ruf, Sociétaire de la Comédie Française.
Costumes : Christian Lacroix.
Chorégraphie : Kaori Ito.
Lumières : Stéphanie Daniel.
Maquillages et coiffures : Véronique Soulier-Nguyen.
Collaboration artistique : Emmanuel Bourdieu.
Avec : Isabelle Candelier (Madame Jourdain), Manon Combes (Nicole), Bénédicte Guilbert (Dorimène), Julien Campani (le Maître de musique et Dorante), Manuel le Lièvre (le Maître d'armes et le Grand Mufti), Francis Leplay (le Maître de philosophie), Hermann Marchand (Un laquais), Leslie Menu (Lucile et le Garçon tailleur), Nicolas Orlando (Un laquais), Pascal Rénéric (Monsieur Jourdain), Alexandre Steiger (le Maître tailleur et Covielle), Thibault Vinçon (le Maître de danse et Cléonte), Kaori Ito, Artemis Stavridi, Jennifer Macavinta (danseuses en alternance), Romain Champion, Cécile Granger, Marc Labonnette, Francisco Mañalich (chanteur).
Avec 7 solistes de l'Ensemble Baroque de Limoges : Clavecin : François Guerrier, Olivier Fortin, Yvan Garcia ; Flute : Maria Tecla, Andreotti ; Hautbois : Lola Soulier ; Violons et alto : Nicolas Mazzoleni, Louis Creach.
Durée : 2 h 50 (avec entracte).

Croquis pour le costume de la Turquerie © Christian Lacroix.
Croquis pour le costume de la Turquerie © Christian Lacroix.
Spectacle du 19 juin au 21 juillet 2012.
Du mardi au samedi à 21 h, matinée le samedi à 15 h 30.
Relâche le samedi le 14 juillet.
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, 01 46 07 34 50.
>> bouffesdunord.com

Les dates de la tournée 2012-2013 :
● 26 au 29 septembre 2012 : Les Théâtres de la Ville de Luxembourg. Réservation : 05 24 70 89 51.
● 13 octobre 2012 : Le Carré, Sainte-Maxime. Réservations : 04 94 56 77 77.
● 16 et 17 octobre 2012 : Théâtre Olympia, Arcachon. Réservations : 05 57 52 97 75.
● 20 et 21 octobre 2012 : Le Prisme, Elancourt. Réservation : 01 30 51 46 06.
● 23 au 25 octobre 2012 : Maison de la Culture, Amiens. Informations : 03 22 97 79 79.
● 9 au 16 novembre 2012 : Théâtre de la Place, Liège (Belgique). Réservation : 00324 342 00 00.
● 19 au 21 novembre 2012 : Opéra Royal de Versailles. Réservation : 01 30 83 78 98.
● 24 et 25 octobre 2012 : Opéra de Vichy. Réservation : 04 70 30 50 30.
● 1er et 2 décembre 2012 : Opéra de Massy. Réservation : 01 60 13 13 13.
● 6 au 8 décembre 2012 : CNCDC de Châteauvallon, Ollioules. Réservation : 04 94 22 02 02.
● 11 au 15 décembre 2012 : Théâtre de Caen. Réservation : 02 31 30 48 00.
● 19 et 20 décembre 2012 : Opéra de Limoges. Réservation : 05 55 45 95 95.
● 5 au 11 janvier 2013 : La Criée, Marseille. Réservation : 04 91 54 70 54.
● 15 au 18 janvier 2013 : Théâtre Royal de Namur (Belgique). Réservation : 081 226 026.

Jean Grapin
Mardi 3 Juillet 2012

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© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

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