La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Mount Olympus"… orgie en actes !

Spectacle unique, créé et joué une seule fois

Le temps d'une journée, Jan Fabre fait appel, dans une dramaturgie revisitée, aux héros grecs des pièces d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide. Le chorégraphe belge rend hommage, au travers de la tragédie, à l'orgie, par l'intermédiaire de ses vingt-huit interprètes.



© Sam De Mol.
© Sam De Mol.
C'est un spectacle marathon qui dure le temps d'une nuit et d'une journée pleines avec l'orgie en reine de cour. Peu surprenant de la part de Jan Fabre coutumier d'œuvres qui interpellent par ses thématiques. Même s'il a dit que "le cerveau est la partie la plus sexy du corps humain", il l'a oublié cette fois-ci en mettant en avant les parties génitales masculines et féminines. Le corps est vu sous toutes ses coutures. L'intérieur est mis en avant avec des viscères, des abats qui s'étendent ou sont jetés sur scène, après souvent un rituel de lavage.

Tout est à la gloire de la tragédie grecque qui a charrié depuis des centaines d'années, tant de fables, d'histoires, de mythes, de mythologies autour d'Œdipe, d'Antigone, d'Ajax, d'Agamemnon, d'Oreste, de Phèdre, d'Hippolyte, d'Hercule, de Dionysos (1), de mort non enseveli, d'enfants tués, de femmes trompées, sacrifiées, de héros suicidés ou pourchassés.

C'est la mort, l'inceste et l'adultère qui viennent fouler les planches de la grande Halle. Les textes de Jan Fabre et Jeroen Olyslaegers mettent en exergue quelques personnages de tous ces drames pour en extirper la violence ou les affronts subis. Tout se résume à la douleur de ces êtres, à leur force, à leur désespoir ou à l'Até (2) qui les ont portés. Ils deviennent maître de ce qu'ils font, luttant ainsi avec force contre les Moires (3) qui les ont frappés.

© Sam De Mol.
© Sam De Mol.
Dans une œuvre de cette longueur, le temps ne peut jouer qu'un rôle central. Rien ne s'étire et pourtant tout est rappel. Le passé devient présent quand le futur n'a pas lieu d'être. Le chorégraphe ramène le théâtre antique dans l'ici et le maintenant. Tout devient réel, autant les héros que leurs pulsions, les fantasmes que leurs désirs.

Nous sommes presque dans un rêve. D'ailleurs, le texte appelle parfois au sommeil comme pour titiller le public accroché sans doute pour certains, dont moi, à leurs sièges. Des personnages reviennent parfois avec les mêmes répliques, telles Dionysos avec "Tout homme doit avoir un grain de folie" ou Chryssipe (280 av J.-C. - 206 av J.-C.) et "My name is… my name is…". Le dieu grec, en grand ordonnateur, ouvre et ferme le bal laissant le philosophe stoïcien à sa recherche éperdue.

Les danses sont connotées sexuellement. Elles deviennent rite orgiaque où la symétrie est de rigueur et la gestuelle vive et directe. Dans des exercices de sauts à la corde et de courses sur place, le jeu devient très physique. Les répliques sont lancées en plein effort où chacun essaie de tenir jusqu'au bout. Le sexe, surtout masculin, est un organe très important. Il est ajouté quand il n'existe pas ou surajouté pour devenir un fort élément différenciateur quand il est déjà présent. Les hommes s'habillent en femmes quand les femmes mettent un pénis. L'hermaphrodisme est partout. Il est presque permanent. Tout se mélange dans l'échelle du temps et des sexes.

© Sam De Mol.
© Sam De Mol.
Mère Nature devient lieu de débauche. Des scènes d'orgie se succèdent où l'acte sexuel est effectué, entre autres, avec des sapins. Les interprètes sont toujours habillés de blanc, transgressant par leurs actes, une pureté dont ils n'accordent aucun crédit. Les corps, quand ils deviennent nus, sont colorés vivement avec des teintes chaudes et claires.

Au-delà de son aspect artistique où le théâtre se conjugue à la danse, la performance est étonnamment physique. Quelle que soit l'heure à laquelle il arrive, part ou revient, le spectateur n'est jamais perdu. L'allemand, l'anglais, le français et l'italien sont utilisés suivant les scènes avec des sur-titrages systématiques en anglais et en français. Les personnages lyriques entonnent des chants profonds, presque caverneux où la mort semble lancer ses appels. Le langage se décline de différentes façons. Il est mots, paroles, discours, rires, rots, répétitions, glossolalies.

Alors que le spectacle débutait avec deux hommes silencieux habillés de blanc, il se finit par une très belle fête joyeuse, aux corps multicolores. Dionysos, toujours torse nu, a gagné la partie.

© Sam De Mol.
© Sam De Mol.
La salle a été noire de monde du début jusqu'à la fin. Le public applaudit, debout, à tout rompre pendant dix minutes au final. L'artiste belge a lui aussi gagné sa partie.

(1) Fils de Zeus et de la mortelle Sémélé, Dionysos est le dieu du vin et de ses excès, de la démesure, du théâtre et de la tragédie.
(2) Até est la déesse incarnant la faute et l'égarement. Selon Homère, elle est la fille aînée de Zeus.
(3) Les Moires sont les trois divinités du destin avec Clotho, la fileuse, qui tisse le fil de la vie, Athésis, la réparatrice, qui le déroule, et Atropos, l'implacable, qui le tranche.

"Mount Olympus. To glorify the cult of tragedy."

© Sam De Mol.
© Sam De Mol.
Conception et mise en scène : Jan Fabre.
Chorégraphie : Jan Fabre et ses danseurs.
Textes : Jeroen Olyslaegers et Jan Fabre.
Musique : Dag Taeldeman.
Dramaturgie : Miet Martens.
Avec : Lore Borremans, Katrien Bruyneel, Annabelle Chambon, Cédric Charron, Tabitha Cholet, Anny Czupper, Els Deceukelier, Barbara De Coninck, Piet Defrancq, Conor Doherty, Stella Höttler, Sven Jakir, Ivana Jozic, Marina Kaptijn, Gustav Koenigs, Colline Libon, Moreno Perna, Gilles Polet, Pietro Quadrino, Antony Rizzi, Matteo Sedda, Merel Severs, Kasper Vandenberghe, Lies Vandewege, Andrew Van Ostade, Marc Moon Van Overmeir, Marleen Van Uden, Fabienne Vegt.
Artiste olfactif : Peter de Cupere.
Assistante mise en scène : Floria Lomme
Projections : Phil Griffin.
Dramaturges invités : Hans-Thies Lehmann, Luk Van den Dries, Freddy Decreus.
Direction technique : André Schneider.
Lumières : Jan Fabre, Helmut Van den Meersschaut.
Son : Tom Buys.
Techniciens : Wout Janssens, Kevin Deckers, Randy Tielemans.
Directeur de tournée : Sophie Vanden Broeck.
Chargé de production en tournée : Sebastiaan Peeters.
Costumes : Kasia Mielczarek assistée de Maarten Van Mulken.
Accessoires : Alessandra Ferreri, Roxane Gire.

A eu lieu du vendredi 15 septembre à 19 h au samedi 16 septembre à 19 h.
La grande Halle de la Villette, Paris 19e, 01 40 03 75 75.
>> lavillette.com
>> Découvrir la programmation

Safidin Alouache
Vendredi 22 Septembre 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024