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Théâtre

"Mothers, A Song for Wartime" Les voix chantées plus fortes que le bruit des chars…

On voudrait tellement y croire… Et à entendre résonner les voix de ces ukrainiennes, biélorusses et polonaises, unies par la même détermination combative, on est gagnés par leur émotion… qui devient nôtre. En effet, comment pouvoir résister à ces chants véhiculant, sur des musiques traditionnelles, tant la beauté innocente du monde que l'effroi provoqué aujourd'hui par les viols promus au rang d'arme de guerre ? Résister c'est exister. Et si sombre est le propos, il est éclairé par la fabuleuse énergie de ces "guérillères ordinaires" ne cédant devant rien.



© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Tout commence par un rêve ayant traversé les temps… Un rêve doux, celui porté par un chant apaisant pour temps de guerre. Un rêve naïf – mais essentiel – mettant en scène un petit oiseau apportant, avec la venue du printemps, l'espoir. Faisant corps entre elles, propulsant à leur tête une petite fille pétillante de vie faisant figure de proue, elles avancent et reculent au rythme d'une vague pérenne qu'aucune force, fût-elle armée, ne pourra arrêter. Mais les vagues, même les plus tranquilles d'entre elles, ont aussi pour effet d'effacer les traces inscrites dans le sable. Le flux et le reflux de la mémoire humaine ne fonctionnent pas autrement, ils effacent toutes traces d'horreurs "impensables". Ainsi en est-il de l'amnésie, symptôme post-traumatique des temps guerriers.

"Sur la paix", projeté sur la façade monumentale du Palais, ouvre le temps du partage, celui du chant de beignets traditionnels, celui des douceurs à déguster en toute fraternité, en dansant, s'embrassant. "Sur la violence", lui succède apportant dans les plis de ses paroles la souffrance d'une enfant implorant sa mère de la sauver. Un cri déchirant, avec en contrepoint une berceuse enfantine contrastant avec l'extrême violence vécue. "Sur le viol" intensifie encore l'horreur en rappelant que le viol concerne essentiellement les femmes, mais aussi les hommes, n'épargnant aucun âge. De un à quatre-vingt-cinq ans, comme le révèlent les consultations gratuites mises en place pour recueillir la parole des victimes de la soldatesque russe, ayant banalisé la pratique du viol pour démultiplier la souffrance en l'étendant à la vie entière de la victime. Les chorégraphies désarticulées et vindicatives du chœur des femmes "parlent" alors autant de la douleur qui les submerge que de leur colère de combattantes.

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Et l'Europe dans tout ça ? Scandale qu'elle soit si éloignée de l'Ukraine. Déclaration d'amour proclamée par le chœur, "l'amour est plus fort que la mort". Et la révolte plus importante que la passivité face au malheur, "Le rôle des pleureuses sur des os ne nous suffit plus. Notre chant ne s'arrêtera pas".

Viendra l'heure des "Mothers monologues", chacune énonçant son prénom et la ville d'Ukraine qu'elle a dû fuir, Kyiv, Soumy, Irpin, Kharkiv… Elle fera part ensuite de ses goûts ordinaires, de ce qui la constitue comme être de désirs, un sujet pleinement vivant que les atrocités guerrières n'ont pas réussi à détruire… Même si elles savent, ces femmes, que la guerre survivra en elles à la paix.

Moments sensibles portés par ces chants chorégraphiés à la force expressive amplifiée par la solennité des lieux. Moments partagés avec les spectateurs faisant communauté avec ces héroïnes ordinaires n'ayant rien rabattu de leurs aspirations… Et même si, l'émotion (réelle) ressentie dans ce haut lieu de La Cour d'Honneur résonnant des bruits et fureurs de représentations mythiques se dissipera (peut-être pas, allez savoir…) au premier mistral venu, cette forme chorale est de nature à réveiller notre assoupissement chronique… pour hisser notre légitime indignation à la hauteur de l'énergie déployée par ces guérillères exemplaires.
◙ Yves Kafka

Vu le mercredi 10 juillet 2024 dans la Cour d'honneur du Palais des papes, Avignon.

"Mothers, A Song for Wartime"

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Conception et mise en scène : Marta Górnicka.
Assistantes à la mise en scène : Maria Wierzbicka, Bazhena Shamovich.
Avec : Liza Kozlova, Palina Dabravoĺskaja, Svitlana Onischak, Kateryna Taran, Svitlana Berestovska, Vidana Blonska, Sasha Cherkas, Yuliia Ridna, Natalia Mazur, Aleksandra Sroka, Katarzyna Jaźnicka, Bohdana Zazhytska, Anastasiia Kulinich, Hanna Mykhailova, Katerina Aleinikova, Elena Zui-Voitekhovskaya, Kamila Michalska, Maria Robaszkiewicz, Polina Shkliar, Ewa Konstanciak, Volha Kalakoltsava.
Livret : Marta Górnicka et ensemble (ukrainiens, biélorusses, polonais).
Musique : Marta Górnicka.
Dramaturgie : Olga Byrska, Maria Jasińska.
Scénographie : Robert Rumas.
Assistante à la chorégraphie : Maria Bijak.
Chorégraphie : Evelin Facchini.
Lumière : Artur Sienicki.
Vidéo : Michał Jankowski.
Costumes : Joanna Załęska.
Collaboration musicale : Wojciech Frycz.
Coaching vocal : Joanna Piech-Sławecka.
Conseil d'ethnomusicologie urkainienne : Anna Ohrimchuk.
Conseil sur les jeux d'enfants ukrainiens : Venera Ibragimova.
Traduction pour le livret : Cecile Bocianowski (français), Aleksandra Paszkowska (anglais).
Traduction pour le surtitrage : Cécile Bocianowski (français), Aleksandra Paszkowska (anglais).
Durée : 1 h.

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Du 15 au 19 octobre 2024.
Du mardi au vendredi à 20 h 30, samedi à 19 h 30.
Théâtre du Rond-Point, Salle Renaud-Barrault, Paris 8ᵉ, 01 44 95 98 00.
>> theatredurondpoint.fr

Tournée
24 et 25 octobre 2024 : Festival Contre-Sens, TNP, Villeurbanne (69).
2 novembre 2024 : Maxim Gorki Theater, Berlin (Allemagne).
7 novembre 2024 : Euro-scene Leipzig Theatre Festival, Leipzig (Allemagne).
18 novembre 2024 : The National Festival of Directing Art Interpretations, Katowice (Pologne).
30 novembre et 1ᵉʳ décembre 2024 : Théâtre Powszechny, Varsovie (Pologne).
6, 7 et 12 décembre 2024 : Festival International Divine Comedy, Cracovie (Pologne).

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.

Yves Kafka
Vendredi 27 Septembre 2024

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"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

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Gil Chauveau
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© Pierre Gondard.
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© DR.
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13/12/2024