La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"La Gioia" Voyage au bout de la joie, florilège débridé au doux parfum de mélancolie

Pippo Delbono occupe une place à part dans le paysage artistique, lui qui - à une exception près, son inclassable "Henry V" d'après Shakespeare - ne fait pas matière théâtrale des textes consacrés mais puise dans son vivier existentiel le suc de ses créations. Présentement, redonnant à l'expression resucée "homme de théâtre" toute sa saveur originelle, il invite sur un plateau jonché de fleurs ses comédiens complices pour rendre un hommage vibrant à son fidèle acteur Vincenzo Cannavacciuolo dit Bobò.



© Luca del Pia.
© Luca del Pia.
Micro en main, décalé en bord de plateau - où un jardinier, sourire infantile et radieux aux lèvres, vient arroser les fleurs d'un carré de pelouse sous lequel, on le devine, repose l'ami disparu récemment -, l'acteur-metteur en scène annonce, voix traversée d'émotions : "ce spectacle renaît de la mort de Bobò". Et il s'agira bien en effet, plus d'une heure durant, d'une ode à la renaissance, d'un chemin vers la joie, conçu non comme une donnée à espérer mais comme une conquête mentale sur les vicissitudes et la mort.

Comme il l'écrit dans "Le Don de soi" : "grâce à la pratique du bouddhisme, j'ai toujours su que, quoi qu'il arrive, on doit dire merci à la vie, car toute chose quelle qu'elle soit est un don". Ainsi, aux antipodes des "regrets éternels" ornant les dalles funéraires froides comme le marbre, c'est le flux vivant des anecdotes ayant irrigué son existence qui va être revécue in situ, avec tendresse et mélancolie. Au cœur de celles-ci, la rencontre essentielle avec l'acteur microcéphale sourd et muet qu'il a extrait naguère de l'hôpital psychiatrique près de Naples.

Bobò était un être d'exception s'exprimant par bribes inarticulées, renvoyant d'emblée Pippo Delbono au théâtre essentiel dont il rêvait. Un théâtre reposant sur l'action d'acteurs qui ne jouent pas mais qui sont. Un théâtre qui ne fait qu'un avec l'existence. À lui seul, cet homme exceptionnel mais terriblement humain dans les fragilités qui le caractérisaient, cristallise son idéal d'un "théâtre à la première personne".

© Luca del Pia.
© Luca del Pia.
Les acteurs - auxquels étaient dédiés à sa création ce spectacle, avec Bobò sur scène - vont un à un ou collectivement présenter, et non représenter, les heurs et malheurs de la vie comme elle va. Ainsi Ilaria, dans sa moulante robe bleue, ouvre-t-elle le bal en esquissant avec une infinie grâce et légèreté quelques pas de tango, elle qui eut à souffrir de son compagnon fou sombré dans le coma… La folie ? Celle des autres par définition, chacun restant étranger à la sienne. Éclairé alors par des flashs intermittents, un étrange ballet réunissant les comédiens en habits de scène va surgir des abysses pour clamer le droit à leur folie, le lieu où tout existe.

Il y aura aussi la présence fidèle de Pepe Robledo, rescapé de la dictature argentine, autre personnage central de cette troupe réunissant des marginaux rejetés socialement du fait de leur "anormalité". Ainsi Gianluca Ballaré, trisomique, acteur avant tout et adepte de play-back. Mais ce qui résonne le plus, c'est la présence-absence de Bobò au travers notamment de ses paroles sibyllines diffusées par les haut-parleurs, une voix inarticulée, profondément vivante, chaleureuse. Ou encore l'évocation mimée de trois de ses mimiques savoureuses, effectuées en toute innocence et grande intelligence, lors de la mort libératrice de son austère tutrice.

© Luca del Pia.
© Luca del Pia.
Pêle-mêle, les tableaux distillant une douce mélancolie s'enchainent, poèmes lyriques empruntés à l'auteur ou à d'autres comme Erri de Luca, sarabandes dansées, intermèdes silencieux, formes inspirées par le désir ardent de dire la beauté du monde par-delà les différences, la peur, la solitude et les pertes.

Apothéose de cette cérémonie inspirée par la sagesse bouddhiste, les compositions florales descendues des cintres complètent les milliers de pétales recouvrant le plateau. Point d'orgue extatique conduisant Pippo à rejoindre sur "leur" banc Bobò dont il a senti la présence…

Célébration de l'acteur défunt qui, tel le phénix, renaît de ses cendres au terme de ce florilège de témoignages sensibles portés avec extrême sensibilité, célébration d'un théâtre choral puisant son énergie dans l'existence de ceux qui le font vivre, "La Gioia" réalise ces deux performances. Réunissant atypiques et normés, ce "théâtre brut" (cf. Peter Brook) tire de ses imperfections sa force d'adhésion, un théâtre où chacun – interprète créateur et spectateur assemblés - poursuit sa quête de la gioia.

Présenté du 6 au 9 octobre 2020 au TnBA de Bordeaux dans le cadre du FAB (2 au 17 octobre).

"La Gioia"

Spectacle surtitré en français.
Création de Pippo Delbono.
Avec : Dolly Albertin, Gianluca Ballarè, Margherita Clemente, Pippo Delbono, Ilaria Distante, Simone Goggiano, Mario Intruglio, Nelson Lariccia, Gianni Parenti, Pepe Robledo, Grazia Spinella… et avec la voix de Bobò.
Composition florale : Thierry Boutemy.
Musique : Pippo Delbono, Antoine Bataille, Nicola Toscano et différents compositeurs.
Création lumières, Orlando Bolognesi.
Régisseur, Orlando Bolognesi, Alejandro Zamora.
Son : Pietro Tirella, Giulio Antognini
Costumes : Elena Giampaoli.
Chef machiniste : Gianluca Bolla, Enrico Zucchelli.
Traduction : Serge Rangoni.
Production : Emilia Romagna Teatro Fondazione - Compagnie Pippo Delbono.
Durée : 1 h 30.

Autres dates
12 octobre 2020 : Temporada Alta, Girona (Espagne).
14 octobre 2020 : Théâtre de l'Olivier, Istres (13).

Yves Kafka
Mardi 13 Octobre 2020

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024