La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"LIGHT: Bach dances" Tragique et profond !

Dans une superbe création qui lie opéra, théâtre et danse, le chorégraphe israélien Hofesh Schechter traite du rapport à la mort en s'appuyant, en off, de témoignages de gens réels. Dans une trilogie artistique où la musique baroque du compositeur allemand accompagne le spectacle du premier jusqu'au dernier geste, les artistes sont dans une composition théâtrale et portent avec eux une gamme d'émotions étendue.



© Camilla Winther.
© Camilla Winther.
Cela démarre doucement avec une voix off. Puis d'autres témoignages, féminins et masculins, viennent se greffer et ponctuent le spectacle en racontant leurs relations à la mort. Ils sont de différents âges, de la trentaine à la septantaine. Un orchestre, côté cour, joue des compositions de Jean-Sébastien Bach (1685-1750). Côté jardin, un ensemble de chaises tient lieu de scénographie. La scène est découpée en 3 parties avec, là aussi côté jardin, une estrade en arrière-scène où les danseurs comédiens jouent, sans réplique, plusieurs tableaux avec parfois des présences éthérées qui se cachent derrière un rideau ou à un autre moment, un regard esseulé qui transperce l'embrasure de ce même rideau de voile transparent en direction de ce qui se joue plus loin sur les planches.

Ils semblent être des personnages mi-réels, mi-imaginaires. L'émotion, la solitude et le recueillement sont l'envers de ce qui se joue aussi de l'autre côté de la scène dans des attitudes beaucoup plus vives ou épanchées. Là, les corps sont libérés, les émotions à fleur de peau. On s'étreint, se touche ou on s'évite.

© Camilla Winther.
© Camilla Winther.
La danse intervient par segments, comme des bouts d'histoires qui entrent par effraction. Ces irruptions créent des ruptures qui expriment de façon plus intensive les émotions où, à la fois seuls, en duo ou en groupe, les interprètes deviennent la proie d'amour, de tendresse et parfois de violence physique. Le tout est accompagné des compositions de Bach avec un orchestre assis sur des chaises. Celles-ci se composent de quelques extraits de cantates du second livre du clavier tempéré BWV 876 et d'un extrait de la suite pour orchestre n°3 BWV 1068 appelé Air.

Nous assistons à une trilogie artistique avec la musique baroque, la danse contemporaine et le théâtre corporel. Cela se marie avec beaucoup de subtilité. La gestuelle de groupe est de plusieurs ordres. Parfois fine, les bras ondulant comme des virgules accompagnées de leurs troncs avec des jambes qui se plissent puis qui reviennent côté jardin pour se relever. D'autres fois, avec des tempos beaucoup plus vifs où les mouvements des membres autant inférieurs que supérieurs se synchronisent. Les poignets montent puis redescendent pour effectuer un quart de tour.

© Camilla Winther.
© Camilla Winther.
Lors d'une chorégraphie sur l'estrade, un faisceau de rayons lumineux de différentes couleurs vient se glisser dans un long tube, comme capturé. Plus tard, une lumière vive balaie les planches laissant voir les danseurs dans une gestuelle rapide et cadencée. Les tableaux se suivent mais ne se ressemblent pas, comme porteurs d'histoires à la fois uniques et différentes. L'effet est toujours de surprise car rien ne permet d'anticiper la proposition artistique qui va en émaner.

La représentation démarre par deux sonneries alors que les artistes étaient en pleine discussion comme attendant la cloche d'une fin de récréation avant de rentrer en classe. Les musiciens se placent sur leurs chaises, ainsi que les danseurs comédiens qui en délaissent, eux, quelques-unes. Ce vide laissé peut être la place d'un être qui n'est plus là. Au fil du spectacle, la configuration des chaises évolue pour être complètement bousculée et renversée avec un interprète qui hurle en étant rattrapé, dans l'obscurité, par les autres. Là se joue une histoire, un moment d'émotion qui est, comme pour les autres instants théâtraux, accompagné d'une chorégraphie sans qu'il y ait pour autant un mécanisme inéluctable qui semble se rejouer. Les interprètes se regardent, s'ignorent, s'émeuvent, s'empoignent ou se bousculent. Ils sont fixes, mouvants, seuls, en duo ou en groupe. Séparés ou ensemble.

© Camilla Winther.
© Camilla Winther.
Ce sont aussi des clairs-obscurs qui se croisent avec une obscurité qui est bousculée par des lumières vives. Des chants, sopranos, contraltos, ténors et basses, sont effectués face public, tout au long de la scène ou en duo dans, pour l'une, une situation éplorée, un individu tombant sur une chaise dans les bras d'une personne. Elles s'entrelacent pour finir au sol, étendues. C'est autant théâtral, dansé que chanté. Ces tableaux sont comme des respirations dans lesquelles Bach est l'essence, la quintessence de la création d'Hofesh Schechter. Sa musique se glisse au travers de tous ces moments portés de temps en temps par des voix d'opéra. L'orchestre accompagne ces tableaux vivants qui se jouent à fleur de peau comme cette femme assise sur une chaise, esseulée, presque désespérée. Plus loin, les danseurs sont debout, s'écroulent, fuient, tournent ou courent en ligne droite. C'est autant physique que fragile.

Fixes, mouvantes, cassantes, ondulantes, vives ou au ralenti, les chorégraphies déploient toute une symbolique du mouvement avec des gestiques théâtrales. Les corps deviennent des réceptacles émotionnels où les protagonistes sont parfois victimes de situations tragiques qui, à dessein, les dépassent. C'est un magnifique mariage entre théâtre, danse, musique, chants d'opéra et témoignages. Comme un ultime hommage à la mort, cette grande mystérieuse. Un spectacle délicieux.

"LIGHT: Bach dances"

© Camilla Winther.
© Camilla Winther.
Direction artistique, chorégraphie : Hofesh Shechter
Direction artistique : John Fulljames
Direction musicale : Lars Ulrik Mortensen
Décors et costumes : Tom Scutt
Conception lumière : Paule Constable
Danseurs : Robinson Cassarino, Chieh-Hann Chang, Frédéric Despierre, Rachel Fallon, Emma Farnell-Watson, Natalia Gabrielczyk, Adam Khazhmuradov, Yeji Kim, Rosalia Panepinto, Jill Su-Jen Goh, Niek Wagenaar.
Sopranos : Mary Bevan, Jennie Lomm, Chisa Tanigaki.
Contraltos : Mia Bergström, Kristin Mulders.
Ténors : Gerald Geerink, Zahid Siddiqui.
Basses : Jakob Bloch Jespersen, Yannis François.
Par la Hofesh Shechter Company en collaboration avec le Concerto Copenhagen.
Coproduction : Royal Danish Theatre et Hofesh Shechter Company.

Les représentations ont eu lieu du 6 au 8 janvier 2023 à la Philharmonie de Paris.
>> philharmoniedeparis.fr

Safidin Alouache
Lundi 16 Janvier 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

Balade équestre dans l'univers singulier de Bartabas… et de Zingaro, un théâtre pour les chevaux

Forte de quarante ans d'observation de la compagnie Zingaro, de ses évolutions et métamorphoses, ainsi que d'une écoute attentive des murmures émanant de la relation entre Bartabas et ses chevaux, Fabienne Pascaud nous offre une exploration aux confins de la création équestre pour découvrir les sources originelles et intimes de son art au cours de douze grands chapitres, chacun scrutant un aspect différent de la pensée créatrice de cet artiste visionnaire.

"Cette créature mi-homme mi-cheval surgit de nulle part et éructant tel un fou sur les pavés de la ville était peut-être un des ultimes avatars d'Antonin Artaud (1896-1948). Bartabas sortait des légendes et des songes. Et nous ramenait au royaume des légendes et des songes."

C'est en 1978, lors de son premier Festival d'Avignon, que Fabienne Pascaud découvre Bartabas. Pour ce dernier, c'est l'époque "Cirque Aligre", après le Théâtre Emporté et avant Zingaro. Surnommé Bartabas le Furieux, il véhicule déjà une certaine folie, à la fois créatrice et unique, et une grande curiosité. Sa créativité va très vite puiser son inspiration dans la richesse de l'ailleurs, dans les différents aspects du monde…

Et ses spectacles, au fil des années, deviennent des fééries troublantes, voire envoûtantes. C'est ce personnage original et inventif que Fabienne Pascaud nous raconte, nous donnant quelques clés pour mieux comprendre, mieux approcher les métamorphoses de la compagnie Zingaro et révéler ainsi le langage, les pensées fondatrices qui, dans l'imaginaire de Bartabas, écrivent les chorégraphies équines et les univers artistiques qui s'en dégagent.

Gil Chauveau
17/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024