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"Histoire(s) de France" Une réflexion d'individus en miroir à l'Histoire Officielle

Tout est vu au travers du regard de trois enfants de 10 et 11 onze ans. Leur regard sur l'Histoire. L'Histoire de France. Celle que l'on enseigne dans les collèges, celle du programme scolaire qui semble taillée dans un marbre qu'aucun tremblement de terre ne fissurera jamais. "Histoire(s) de France" d'Amine Adjina ne met pas à bas ce monument, non, mais, avec humour et légèreté (presque trop), elle en érafle un peu le lustre.



© Géraldine Aresteanu.
© Géraldine Aresteanu.
Cela se passe dans une classe de 6e, cours d'histoire. La prof demande des exposés sur des passages de l'Histoire de France. La trame est très simple. Il s'agit pour ces trois collégiens, Camille, Arthur et Ibrahim, de présenter un travail de groupe sur cette dernière. À eux de choisir et d'évoquer un ou plusieurs événements de cette histoire à leur manière. Ils vont alors présenter, après quelques péripéties de désaccords, de brouille et d'embrouille, trois mini-spectacles devant la classe et la prof. De la préhistoire à nos jours, que vont-ils choisir ? Pourquoi ? Quelle perception ont-ils de ces événements ? Quels détails leur parlent encore de nos jours ?

Toute la pièce prend le ton de la comédie, usant des ressorts de la mésentente entre les trois enfants et des adaptations qu'ils font de l'histoire en fonction de leurs propres points de vue. Ainsi Camille, la fille du groupe, impose-t-elle d'incarner Vercingétorix, arguant du fait que, peut-être, ce chef gaulois qui lutta contre César était une femme. Sur le même principe, Ibrahim qui incarne un druide, le fait jeter ses incantations en arabe. Une jolie manière, drôle de surcroît, de mettre en lumière comment s'identifier ou non à cette Histoire.

© Géraldine Aresteanu.
© Géraldine Aresteanu.
Après les Gaulois, ce sera la Révolution française, puis… la coupe du monde de foot gagnée par la France en 1998 avec cette équipe qui semblait réunir toutes les origines culturelles et ethniques. Un moment de grâce où chacun pouvait s'identifier aux joueurs dans une réunion qui fit rêver un temps d'un pays multicolore délivré de tout racisme.

Le texte et la mise en scène d'Amine Adjina évitent avec habileté le ton sérieux. C'est l'humour qui est privilégié… le cocasse, l'absurde parfois, cherchant à travers le rire à soulever quelques questions de société fortes. Le dispositif scénique important est en lui-même une source de variations infinies. Et les trois comédiens sont parfaitement crédibles en enfants, sans en faire des caricatures.

On se dit que peut-être un jour, dans un avenir meilleur où l'on cherchera plus largement nos racines que dans un terroir rabougri, limité à une histoire officielle qui nous rend aveugle aux autres, peut-être un jour sera-t-il enseigné dans les écoles du monde, autre chose que ces histoires réduites au point de vue des nations, des pays, des régions. Alors, on enseignera l'Histoire du monde (sans majuscule), et ses racines seront aussi bien et plus grandes que ce bout de terrain que l'on nomme héritage culturel, régional, nationaliste, continental, hémisphérique.

"Histoire(s) de France"

© Géraldine Aresteanu.
© Géraldine Aresteanu.
Texte et mise en scène : Amine Adjina.
Assistant à la mise en scène : Julien Breda.
Collaboration artistique : Émilie Prévosteau.
Avec : Mathias Bentahar, Romain Dutheil et Émilie Prévosteau.
Voix : Kader Kada.
Création lumière : Bruno Brinas et Azéline Cornut.
Création sonore : Fabien Aléa Nicol.
Scénographie : Cécile Trémolières.
Costumes : Majan Pochard.
Régie générale : Azéline Cornut.
Régie son : Pierre Carré et Fany Schweitzer.
Régie lumière : Azéline Cornut, Bruno Brinas, Zoé Dada.
Création vidéo : Guillaume Mika.
Construction décor : Frédéric Fruchart.
Habilleuse : Manon Allégatière.
Tout public à partir de 10 ans.
Durée : 1 h 15.

© Géraldine Aresteanu.
© Géraldine Aresteanu.
Du 6 au 16 avril 2022.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 16 h.
Théâtre 13/Bibliothèque, Paris 13e, 01 45 88 62 22.
>> theatre13.com

Autres dates 2022
28 et 29 avril 2022 : Le Grand Bleu - scène conventionnée d'intérêt national Art, Enfance et Jeunesse, Lille (59).

Bruno Fougniès
Lundi 11 Avril 2022

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023